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Francophones sans frontières

Jade Lê

Au cours de son histoire, Le Délit a effectué des changements à sa structure, à ses manières d’opérer, ou encore dans le contenu qu’il produisait. Si une chose n’a jamais changé au Délit depuis sa fondation en 1977, c’est son amour irréductible pour la langue française. En tant qu’unique journal francophone de l’Université McGill, Le Délit exerce chaque semaine un mandat clair : donner une voix à la communauté francophone de l’Université McGill et faire rayonner la langue française sur le campus. Ce jeudi 20 mars, nous fêterons la Journée internationale de la Francophonie, afin non seulement de souligner la richesse de la plus belle langue du monde, mais aussi de célébrer la culture québécoise, fondamentalement francophone. Cette journée nous donne l’occasion de mettre en avant les interrogations et les enjeux qui habitent la communauté francophone de McGill, notamment en matière de politique linguistique, d’enseignement et d’immigration.

L’enseignement supérieur a été au cœur de la politique linguistique du Québec dans la dernière décennie, et de manière encore plus probante au courant des deux dernières années. Afin de préserver la langue française, le gouvernement a mis en place un plan d’action visant à réguler le flux d’étudiants étrangers. À ce sujet, la province mène le combat sur deux fronts : une incitation aux étudiants francophones à venir étudier au Québec, et un découragement à ceux qui ne le sont pas. Du côté de la carotte, Québec a signé des ententes de mobilité étudiante avec la France en 2015 et la Belgique en 2018, permettant aux étudiants de ces pays de venir étudier au Québec avec des traitements préférentiels, notamment pour des frais de scolarité bien moins élevés que les autres étudiants internationaux. Le bâton, lui, est venu l’année passée, lorsque le gouvernement de François Legault a pris des mesures strictes contre les universités anglophones du Québec en augmentant considérablement les frais de scolarité des étudiants canadiens anglophones provenant d’autres provinces. Cette décision a déjà des conséquences importantes sur notre université, qui a annoncé devoir faire des coupes budgétaires majeures le 10 février dernier.

D’une certaine manière, la politique du gouvernement a fonctionné : si les universités anglophones du Québec ont d’abord exprimé leur mécontentement, elles se sont finalement pliées aux demandes du gouvernement. Dès 2025–2026, 80% des étudiants non québécois devront atteindre un niveau intermédiaire de français oral au terme de leurs études, et McGill commence déjà à ajuster le tir pour que ses étudiants répondent à ces exigences.

La francophonie : plus que ça !

Vouloir préserver la francophonie en augmentant le nombre d’étudiants francophones dans les universités québécoises est une politique qui doit être mise de l’avant. Cependant, nous sommes de l’avis qu’elle ne va pas assez loin. Si cette mesure a bénéficié à de nombreux étudiants français et belges (dont plusieurs éditeurs du Délit et moi-même font partie), elle exclut une grande partie de la francophonie. Oui, la francophonie ne se limite pas à la Belgique et la France, qui représentent à eux deux bien moins de 100 millions de locuteurs. La francophonie, c’est 321 millions de locuteurs sur cinq continents différents, et près de 60 % de ces derniers vivent en Afrique et au Proche-Orient. Si l’objectif premier de la politique linguistique du Québec pour l’enseignement supérieur est d’encourager la venue d’étudiants francophones, les mesures actuelles ne le reflètent pas de manière complètement intègre.

Pour réellement inciter sans discrimination la venue d’étudiants francophone, une mesure optimale accorderait des tarifs préférentiels à tout détenteur d’un diplôme d’étude secondaire de langue française, comme le baccalauréat français (qui n’est pas passé qu’en France), l’examen national du Sénégal ou encore le baccalauréat algérien. Cela diminuerait l’importance de la diplomatie ou de la nationalité, et refocaliserait la politique de préservation linguistique québécoise sur son essence : la langue française.

Le 16 mars dernier, à la suite d’un entretien avec le nouveau premier ministre Mark Carney, François Legault a considéré dans une publication sur Instagram que la « réduction du nombre d’immigrants temporaires au Québec » était un « enjeu vital » pour la province, et une mesure nécessaire pour « protéger l’avenir du français ». Ces commentaires de la part du premier ministre québécois méritent d’être adressés en deux temps. Premièrement, l’immigration temporaire n’est néfaste au français que dans la mesure où c’est une majorité anglophone qui la constitue. Deuxièmement, l’immigration temporaire francophone, au contraire, serait bénéfique pour l’avenir de la langue officielle. Soyons clair, l’enjeu ici n’est pas celui de l’immigration, mais bien celui de la langue. Bien que les deux soient reliés, il convient de savoir mettre de l’ordre dans ses priorités. La politique linguistique est ce qui doit influencer la politique migratoire, et non l’inverse.

La question de la préservation de la langue française est complexe et notre éditorial ne vise pas à lui donner une solution. En revanche, sans vouloir faire de conclusions hâtives, il est indéniable que l’immigration peut être une avenue de préservation pour la langue française au Québec. Il faut pour cela ouvrir les yeux sur la réelle diversité que représente la francophonie, qui fait la richesse de bien d’autres nations que le Québec, la France ou la Belgique. La survie de la francophonie québécoise est un combat pour lequel le Québec ne peut se permettre de renier de précieux alliés sur la seule base de leur origine ! Le thème du dernier sommet de la francophonie était : « Créer, innover et entreprendre en Français ». Le gouvernement québécois devrait utiliser cet esprit d’innovation et repenser ses politiques d’enseignement supérieur et d’immigration, afin de réellement s’ouvrir aux richesses de la francophonie.


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