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La barrière de la langue

Quand participer est source d’anxiété.

Stu Doré | Le Délit

S ’il y a une chose dont j’ai toujours été fière pendant mes années de collège et de lycée, c’est ma participation spontanée et régulière en cours. Telle Hermione Granger, à chaque question d’un professeur, je brandissais mon doigt le plus haut possible, parfois même incapable d’attendre d’être interrogée pour donner la bonne réponse. On ne peut pas dire que ce soit encore le cas dans mes cours à McGill. Désormais, la note de participation, au lieu d’être un bonus, est devenue un véritable frein à ma note finale. Que s’est-il donc passé ? Je sais que j’ai beaucoup changé ces dernières années, mais je me sens aujourd’hui bien plus sociable que je ne l’étais auparavant. Le niveau d’excellence à McGill m’intimiderait-il au point de me faire renoncer à prendre la parole en public ? À vrai dire, il me semble que le principal obstacle à ma participation est la barrière de la langue.

Et si on ne comprenait pas ce que je disais ? Ou que mon accent était si ridicule que l’on se moque de moi ? Pour ne pas prendre de risque, mieux vaut ne pas prendre la parole, de toute façon un anglophone saura exprimer mon idée bien mieux que je ne pourrais jamais le faire. Voilà le raisonnement derrière mon silence auto-imposé. En discutant avec des étudiants francophones, je me suis vite rendue compte que je n’étais pas la seule à avoir ce sentiment.

Syndrome de l’imposteur

« C’est un peu mon échec de McGill de ne pas réussir à participer », admet Zoé, étudiante française à McGill. Selon elle, sa réticence à prendre la parole en anglais a déjà influencé sa note de participation : « En première année, je n’osais jamais m’exprimer en conférence. » Elle décrit avoir ressenti le syndrome de l’imposteur : « Ce n’était pas que l’anglais, mais aussi le fait d’être plus timide et d’avoir l’impression que je n’avais pas quelque chose de très intéressant à dire. » Chloé, également étudiante française, confie qu’elle avait « peur que les professeurs ne comprennent pas ce qu’ [elle] dise, la forçant à répéter devant tout le monde, provoquant ainsi une situation gênante ». L’appréhension de la langue amplifie l’anxiété provoquée par la mise à nue volontaire lorsque l’on prend la parole en public. Chloé explique que la crainte de ne pas se faire comprendre « était aussi accompagnée d’une peur de dire quelque chose de faux ».

« L’appréhension de la langue amplifie l’anxiété provoquée par la mise à nue volontaire lorsque l’on prend la parole en public »

Une stratégie pour donner la réponse la plus claire possible, est de préparer ses phrases en anglais à l’avance dans sa tête, mais cela prend parfois du temps. Selon Zoé, son incapacité à participer n’était pas due à l’appréhension des moqueries que pourraient susciter son accent, mais au manque de temps pour comprendre les questions et y réfléchir : « Je ne levais pas la main assez vite. Le temps que je trouve l’information dans mes notes et que je sache quoi dire, il était déjà trop tard. » Pour Maïa, étudiante luxembourgeoise, l’accent non plus n’est pas un obstacle : « C’est quand même un environnement où l’anglais n’est pas la première langue de beaucoup de personnes et je n’ai donc pas peur de me faire juger. » Néanmoins, elle admet que le manque de maîtrise de la langue limite sa participation, car cela l’empêche de trouver les mots pour exprimer ses pensées clairement et la fait bégayer. Ainsi, comme en témoigne Maïa, la note de participation pour une francophone est « un défi et n’est pas un A facile ».

En tête-à-tête

Au-delà de la barrière de la langue, l’intimidation causée par un grand groupe contribue à renforcer la peur de prendre la parole lors des conférences ou dans un cours magistral en amphithéâtre. En présence de 400 élèves, ou d’une trentaine pour certaines conférences, il est difficile de se forcer à participer. Zoé est partie en échange à Édimbourg le semestre dernier, ce qui lui a permis de se débloquer. « On était dans de beaucoup plus petits groupes et j’ai davantage pris la parole en public. J’ai dû faire pas mal de présentations et des travaux de groupe », raconte-t-elle. Ainsi, réduire l’effectif des conférences et des classes pourrait faciliter la participation des élèves non-anglophones à McGill.

Une autre manière de participer est de se rendre aux heures de bureau des professeurs pour leur poser des questions seul à seul ou soumettre ses idées dans un contexte plus privé. Gabrielle, étudiante québécoise, a l’habitude d’aller voir le professeur à la fin du cours pour compenser son manque de participation et qu’il se souvienne mieux d’elle. Zoé, quant à elle, n’a aucun problème à rencontrer individuellement les professeurs ou les auxiliaires d’enseignement (TA). Néanmoins, elle exprime sa frustration de ne pas toujours réussir à retranscrire ce qu’elle veut dire en anglais quand ses idées ne sont déjà pas claires dans son esprit. C’est pourquoi, « quand les TA et les professeurs sont francophones, je suis moins anxieuse d’aller les voir, et je suis plus à l’aise, car je peux leur parler en français ».

J’ai toujours trouvé les rencontres individuelles avec les professeurs encore plus anxiogènes qu’une salle de classe et j’ai toujours été terrorisée à l’idée de me rendre aux heures de bureau de mes professeurs. Maïa partage la même crainte et en attribue la responsabilité à sa timidité. Elle remarque toutefois qu’« il y a beaucoup de professeurs dont l’anglais n’est pas la première langue », il n’y a donc pas de honte à avoir un accent prononcé. 

Prendre confiance

Ayant conscience de l’irrationalité de sa peur, Gabrielle reconnaît tout de même qu’il lui faut « prendre son courage à deux mains pour y aller la première fois sachant que le premier contact est toujours le plus bizarre ». Au fur et à mesure de ses rencontres avec les professeurs, elle prend davantage confiance en elle et est plus à l’aise à s’exprimer en anglais.

Une chose est sûre, cela ne fait que s’améliorer avec le temps, bien qu’on ait tous besoin de différents temps d’adaptation. Si en première année Zoé connaissait le syndrome de l’imposteur, alors qu’elle s’apprête à graduer, elle se sent pleinement appartenir à la communauté mcgilloise. D’ailleurs, elle s’est rendue compte que souvent dans les conférences, les étudiants prennent la parole pour ne pas dire grand chose, mais obtiennent quand même leurs points de participation. Il n’y a donc rien à perdre à essayer, mais au contraire tout à gagner.

« J’ai toujours essayé de me faire violence pour surmonter ma peur », affirme Chloé. Elle explique qu’aujourd’hui, elle a pris confiance en son niveau académique et se sent beaucoup plus à l’aise avec l’anglais, notamment grâce à la pratique de la langue dans des contextes informels. Habitant avec des colocataires américaines et canadiennes depuis deux ans, je m’identifie à son vécu. Zoé souligne par exemple l’aide que lui ont apporté les expériences qu’elle a eues en dehors des cours en tant que bénévole à la Radio CKUT et à Model UN pour améliorer son anglais parlé.

« J’ai toujours essayé de me faire violence pour surmonter ma peur » 

Chloé, étudiante française à McGill

Ces dernières années, certains cours ont lancé de nouvelles initiatives pour faciliter l’intégration des élèves francophones à l’enseignement en anglais à McGill.

Le cours d’introduction aux relations internationales en science politique (POLI 244) offrait par exemple une section en français enseignée par Vincent Pouliot. Chloé, qui a pris le cours lors de son premier semestre à McGill, en souligne les avantages : « Le fait de prendre un cours sur cinq en français m’a sûrement aidée à davantage concentrer mon attention sur la compréhension des quatre autres. Je pense que c’était vraiment une bonne initiative ». Il arrive aussi parfois que certaines conférences soient offertes en français, ce qui peut faciliter la participation en laissant le temps de s’adapter à l’anglais comme langue académique.


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