La tumultueuse histoire de la langue française à McGill s’inscrit dans un débat endémique à la société québécoise. L’institution académique, héritage d’un controversé marchand de fourrures écossais, est une destination majeure de l’innovation intellectuelle québécoise — et ce, en anglais, depuis 1821. La majorité francophone de la province n’a pas toujours vu d’un œil favorable la présence de l’université sur son territoire, lui attribuant un tort irréparable à la cause de la protection de la francophonie et à l’accès universel à l’éducation universitaire. Chef-lieu tantôt du colonialisme britannique, puis de l’intelligentsia anglo-saxonne, l’Université McGill est aujourd’hui un lieu où règne une impressionnante diversité au sein de laquelle le français a laissé une trace indélébile. Naviguant au travers des remous politiques et de l’évolution culturelle et linguistique de notre province, apprenons ensemble l’histoire de notre langue officielle à McGill. Retour sur 200 ans de combats, de négociations et d’apprentissages grâce aux archives de la BANQ et de McGill.
Siméon Pagnuelo – Assujettir McGill aux institutions québécoises (1886)
La défense du français hors des murs de McGill précède bien entendu sa valorisation au sein de l’établissement. Dans un Canada nouvellement formé, le Québec tente d’asseoir l’utilisation systématique du français — par exemple dans ses ordres professionnels — ce qui est loin de faire l’unanimité chez les administrateurs et diplômés de l’Université McGill.
Une lettre ouverte publiée en mars 1886 par Siméon Pagnuelo, en réponse à Sir William Dawson et James Ferrier, critique l’attaque de ces derniers sur l’examen du Barreau québécois — institution francophone à laquelle tous les avocats sont assujettis. Dans ce document d’archives, Pagnuelo défend la pertinence de l’examen obligatoire et raffermit la dominance du français dans la société québécoise — alors que MM. Dawson et Ferrier reprochent au Barreau de persécuter la minorité anglophone. On observe dès lors une mise en opposition des communautés linguistiques majoritaires de Montréal, un combat bien plus profond que celui de l’accréditation professionnelle : la tension est palpable. Pagnuelo défend le français et sa place dans le Québec alors que MM. Dawson et Ferrier revendiquent la souveraineté éducative de leur établissement, et, par le fait même, la langue qui le sous-tend.
Opération McGill Français : rendre McGill et l’éducation universitaire accessibles aux Québécois (1969)
La montée d’un certain nationalisme francophone québécois de l’éducation atteint son paroxysme en 1969, simultanément à la Crise de Saint-Léonard (Bill 63). À l’époque, de nombreux débats de société font rage quant au financement et à l’encouragement d’une éducation primaire et secondaire en anglais, notamment chez les immigrants d’origine italienne peuplant Saint-Léonard, quartier de l’est de l’île de Montréal. La majorité québécoise francophone défend l’adoption d’un système unilingue, toujours dans un objectif de valorisation de la langue et de protection de l’identité québécoise. Le ressentiment exprimé par les Québécois francophones n’ayant pas un accès équitable à l’éducation universitaire est le miroir d’un combat social opposant une classe gouvernante anglophone aux travailleurs francophones. Les textes d’époque relatent la montée d’un sentiment d’injustice, qui culmine en la cruciale (mais trop souvent oubliée) Opération McGill Français. Cette manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’Université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat ? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les manifestation prônant l’accès des francophones à l’Université McGill est la plus importante enregistrée au Québec depuis la Seconde Guerre mondiale. Il faut savoir qu’à l’époque, les Montréalais francophones n’ont accès qu’à une seule université offrant un cursus dans leur langue, — l’Université de Montréal — et comptent pourtant plus de diplômés des études postsecondaires que leurs homologues anglophones. C’est donc pour démocratiser l’éducation universitaire et déloger la mainmise de l’anglais sur l’université que plus de 10 000 Québécois (15 000 selon les sources francophones, 7 000 selon l’Université) prennent d’assaut les rues. Résultat ? Un an plus tard, McGill accepte enfin la remise de travaux en français, permettant donc le système de remise bilingue qui bénéficie à un pourcentage conséquent d’élèves d’hier et d’aujourd’hui. Côté gouvernemental, l’Université du Québec (UQAM, UQAC et toutes autres déclinaisons) voit le jour, répondant aux requêtes des cégépiens victimes de la raréfaction des places universitaires. Cette période marque le début d’une série d’accommodements raisonnables de McGill envers les francophones de la province — une lente évolution vers l’égalité des chances dans l’éducation supérieure.
Création du Délit et Loi 101 : le français prend de la place (1977)
Le Délit, unique journal francophone de l’Université McGill, est publié pour la première fois en 1977 — année coïncidant avec la ratification de la Loi 101 faisant du français la langue d’usage protégée du Québec. Depuis sa création, Le Délit donne une voix aux étudiants francophones et permet une presse réellement libre et représentative de la population étudiante mcgilloise. En effet, au courant des années 1970, McGill voit le nombre de francophones inscrits croître pour atteindre 20% du corpus — statistique similaire aux informations divulguées par l’université pour l’année 2024–25. Cette année-là, 20% des étudiants affirment parler le français comme langue maternelle et plus de la moitié révèlent être capable de parler et de comprendre le français. Une nette amélioration depuis les années 1970, alors que la Loi 101 exclut McGill de son champ d’application et donc ne peut forcer l’établissement à adopter le français comme langue d’enseignement.
Néanmoins, plusieurs balises et règles relatives à l’emploi sont mises en application, interdisant par exemple la discrimination à l’embauche de quelqu’un pour sa compétence en anglais. Au fil des années, cette mesure bénéficie certes aux francophones, mais aussi aux professeurs de partout dans le monde voulant contribuer à la richesse intellectuelle de l’université. Armé à présent d’un journal hebdomadaire tiré à plusieurs milliers d’exemplaires et d’une protection de son droit à l’emploi et à l’étude en français, l’étudiant francophone peut à présent survivre et prospérer à McGill.
Création du portail « Vivre McGill en français » (2015)
Maintenant qu’une équité — du moins dans la Charte constitutive de McGill — est atteinte, l’Université se lance dans des activités de valorisation du français. L’idée novatrice de l’administration ? Amener le français à la communauté anglophone montréalaise et internationale par le biais d’activités diverses et de programmes d’attestation d’apprentissage du français. Les francophones semblent avoir gagné énormément de terrain depuis 1821, tellement qu’il est maintenant question de faire du français une langue attirante pour les étudiants partout dans le monde. L’université, très loin de son passé discriminatoire, abrite notamment la Commission des affaires francophones (CAF), organisation s’occupant de la protection des droits des francophones à McGill. D’un point de vue éducatif, plusieurs facultés offrent des cours ou des programmes disponibles en français. C’est le cas notamment de la Faculté de droit, fait qui rendrait sûrement Siméon Pagnuelo très fier d’avoir résisté à l’opposition à l’institution francophone du Barreau ! Le portail se consacre aussi à la création de capsules linguistiques, culturelles et touristiques sur le français et la ville de Montréal, prenant l’initiative de présenter avec précision l’importance du français hors du microcosme mcgillois. Une récente campagne publicitaire illustre également le bon vouloir de McGill, valorisant son « French side » et voulant montrer hors de tout doute la réelle inclusion de la francophonie entre ses murs.
Francofête 2025 !
Ce bref résumé historique de quelques passages marquants de la francophonie à McGill vise à démontrer toute l’importance de la Francofête organisée par l’université dans l’intégration des francophones, mais aussi du français dans son quotidien. 200 ans d’histoire, de querelles, de manifestations… et pourtant, le français a réussi à se frayer une place dans le monde anglophone de McGill, faisant d’elle une université réellement bilingue. Continuez d’exercer vos droits et de collaborer avec l’université dans ses activités de valorisation de la langue officielle !