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Manie ou TOC ?

Comprendre les troubles obsessionnels compulsifs pour moins les subir.

Stu Doré | Le Délit

La vie d’un étudiant est loin d’être de tout repos. Les sources d’anxiété sont aussi nombreuses que les tâches à accomplir et chacun adopte ses propres stratégies pour y faire face. Si certains préfèrent la méditation et le yoga, d’autres se rassurent grâce à leur routine et à certaines manies. Néanmoins, il arrive que nos habitudes deviennent envahissantes, au point d’être chronophages et d’alourdir notre charge mentale plutôt que la soulager. Vérifier une dizaine de fois que son réveil est bien programmé, s’assurer une fois, puis trois fois, que le four est bien éteint… À partir de quel moment peut-on parler de troubles obsessionnels compulsifs (TOC)?

Catherine Courtois-Ouellet, psychologue spécialisée en TOC à l’Institut Allan Memorial du Centre Universitaire de Santé de McGill (CUSM) démystifie ce problème de santé mentale et explique en quoi il se différencie d’une simple manie.

Obsessions et compulsions

Selon la psychologue, les TOCs se manifestent par la présence d’obsessions ou de compulsions, même si en général les deux vont de pair. Les obsessions sont « des pensées intrusives qui surviennent à notre esprit alors qu’on ne souhaite pas les avoir » et se traduisent souvent en doutes. Elle donne un exemple : « Est-ce que j’ai touché quelque chose qui était contaminé ? ». Ces obsessions peuvent aussi se présenter sous la forme « d’images récurrentes et intrusives » qui s’imposent à l’esprit.

Les compulsions sont « des comportements répétitifs qui visent à évincer les obsessions et réduire la détresse qu’elles provoquent ». Elles agissent ainsi comme mécanisme de protection : « Par exemple, on peut se laver les mains à répétition pour s’assurer de ne pas être contaminé ou de ne pas contaminer les autres. » Ces compulsions ne sont pas toujours visibles. Elles peuvent également se faire mentalement, comme lorsqu’une personne « répète une série de chiffres pour empêcher qu’un malheur ne survienne aux gens qu’elle aime » ou lorsque l’« on se remémore le déroulement des évènements de la journée pour s’assurer que tout est sans risque ». Contrairement aux manies, à savoir des habitudes anodines, les TOCs peuvent avoir des répercussions graves sur ceux qui en souffrent. Si beaucoup trouvent du réconfort dans des rituels sans grande incidence sur leur quotidien, sommes-nous tous susceptibles de développer des TOCs aux conséquences plus néfastes ?

Un problème de croyance

La psychologue explique que les symptômes du TOC se présentent sur un spectre et présentent différents degrés de sévérité. La pensée superstitieuse peut ainsi être une tendance moins sévère de TOC. Plus le TOC prend de la place dans notre vie, plus il est sérieux. « Pour être capable de poser un diagnostic de troubles obsessionnels compulsifs, il faut que les obsessions, les compulsions, prennent au moins une heure dans la journée de la personne, créent une interférence importante dans son fonctionnement ou entraînent une détresse significative », précise la psychologue.

D’après elle, un mélange de facteurs mène à l’apparition d’un TOC, même si les causes ne sont pas encore bien connues. D’un côté, il y a un aspect génétique et neurobiologique inhérent à la personne, de l’autre, des facteurs extrinsèques peuvent exacerber une fragilité préexistante à la suite d’événements de vie angoissants : la perte d’un être cher, la transition de l’adolescence à l’âge adulte… Cela explique pourquoi l’âge typique d’apparition d’un TOC est 19 ans, au début de l’âge adulte. Étant fortement influencé par le contexte, le TOC ne relève pas d’un trouble de la personnalité, mais est plutôt associé à un problème de croyance : « la personne avec le TOC fait trop confiance à son imaginaire, à défaut de faire confiance à son bon sens et à la réalité. »

Reprendre le contrôle

Vivre avec des TOCs sévères peut devenir très contraignant au quotidien. « Peut-être que le TOC va pousser la personne à ne plus vouloir quitter son domicile, ou à s’isoler pour différentes raisons », illustre la psychologue. La personne atteinte de TOC peut même éviter la présence de certaines personnes ou situations qui sont liées à ses obsessions, de peur de causer du tort. Cela peut limiter les choix en matière d’emploi ou dans la sphère privée, ainsi que rendre plus difficile l’entrée dans une relation amoureuse. Mais alors, est-il possible d’atténuer les conséquences négatives des TOCs ?

« La personne avec le TOC fait trop confiance à son imaginaire, à défaut de faire confiance à son bon sens et à la réalité »

Catherine Courtois-Ouellet, psychologue

« Les compulsions sont une illusion de contrôle parce qu’elles reflètent des comportements qui n’ont pas d’incidence réelle », observe la psychologue. Finalement, elles représentent une perte de temps et amènent le TOC à avoir le contrôle sur nous. Toutefois, il est possible de retrouver notre liberté d’action via différentes thérapies. L’une d’entre elles, nommée la thérapie d’exposition et de prévention de la réponse (EPR), consiste à s’exposer à nos peurs sans faire les compulsions. Il s’agit donc d’apprendre à tolérer les situations qui donnent naissance à nos obsessions ainsi que l’anxiété qui en découle. L’ajout de notions issues de la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) à l’EPR peut enrichir cette approche en aidant la personne à développer une nouvelle relation avec ses pensées intrusives et ses émotions difficiles. Plutôt que de lutter contre les obsessions ou de chercher à réduire l’anxiété à tout prix, l’ACT encourage à reconnaître ces expériences comme passagères et à rediriger l’énergie vers des actions alignées avec ses valeurs. Une autre approche complémentaire, la thérapie cognitive comportementale basée sur les inférences (TCC‑I), se concentre sur la manière dont les obsessions émergent, en mettant l’accent sur les processus de raisonnement plutôt que sur l’anxiété. Selon cette approche, les obsessions ne proviennent pas d’une hyperactivation de l’anxiété, mais plutôt d’une confusion entre imagination et réalité. La TCC‑I aide ainsi le patient à remettre en question les inférences erronées à l’origine de ses obsessions et à reconstruire une perception des situations redoutées qui est plus juste et ancrée dans l’ici et maintenant.

Bien qu’il soit possible que le TOC ne disparaisse pas entièrement pour certains, il peut perdre de son emprise et devenir plus gérable au quotidien, jusqu’à s’apparenter davantage à une habitude intrusive ou à une fragilité plutôt qu’à une source majeure de détresse.


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