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Pop : Éclater l’enseignement sélectif

Des cours gratuits proposés par l’UPop Montréal.

Eileen Davidson | Le Délit

Pourquoi notre éducation supérieure devrait-elle se cloisonner à l’apprentissage d’une seule discipline, de nos 18 à nos 25 ans ? Comment se fait-il qu’il faille payer et s’investir à temps plein ou partiel pour se renseigner, discuter, débattre en société ? À l’heure où le président américain tente d’étouffer la science pour en balancer les cendres sous le tapis, des chercheur·se·s bénévoles et passionné·e·s continuent de solidifier les bâtisses de notre démocratie avec le ciment de leurs questions, hypothèses, découvertes et critiques. Ils·elles s’appliquent à partager des cours compréhensibles et accessibles pour nous tous, acteur·rice·s de notre démocratie.

Créer une société vivante

UPop Montréal, créée en 2010, est un organisme à but non lucratif qui s’inspire du mouvement alternatif des universités populaires européennes. Sa mission est de rendre le savoir accessible, en créant des lieux de rencontre, de réflexion et de partage des connaissances, le tout dans des espaces conviviaux, tels que des cafés et librairies. L’UPop soulève le couvercle de questions socialement vives : des objets de débats et d’incertitudes qui invitent les gens à enquêter sur leur quotidien de façon interdisciplinaire. « La gestion des déchets est une question socialement vive », soutient Blandine, le micro en main, éclairée par un projecteur d’appoint dans le Café les Oubliettes près du métro Beaubien. Postdoctorante en éducation à l’écocivisme, la chercheuse présente à une quarantaine de participant·e·s le deuxième panel de son cours : « Décoloniser la gestion des déchets. »

« C’est l’esprit critique du citoyen qu’elle veut stimuler plutôt qu’enseigner une technique ou une théorie »

L’intervention de Blandine est suivie d’une heure de discussion ouverte où le micro chemine entre les mains des différent·e·s participant·e·s, une « petite communauté éphémère », peut-on lire sur le site, composée de personnes de tous âges et origines. Ici, les gens viennent et reviennent à chacune des quatre séances du cours organisé par Blandine. Les cours proposés ne présentent pas un savoir tout clé en main : le propre d’une question vive est qu’elle n’a pas de solution évidente, ne suit ni une théorie prescrite ni un activisme particulier. Un angle de recherche est une prise de position, surtout quand il s’agit d’en faire une histoire ludique pour enseigner à des novices. Il s’agit avant tout d’une proposition, qui est ensuite enrichie par les débats de groupe. On se rend alors compte qu’il y a dans ce même café des professionnel·le·s du milieu, des enseignant·e·s, des gens qui travaillent pour la ville ou qui partagent leur expérience personnelle. On peut lire sur le manifeste de l’UPop : « Les personnes présentes seront des peintres, des plombiers, des sculptrices, des charpentiers, des informaticiennes. Peut-être bien des astronomes, des architectes, des musiciennes, des poètes. Des libraires, des typographes, des flâneurs. Nous aurons besoin de beaucoup de flâneurs. Beaucoup. »

Des chercheur·se·s engagé·e·s

À l’hiver 2025, la programmation annonce six thèmes présentés chacun par un·e chercheur·se qui décline sa recherche sous ses différentes facettes lors de deux à quatre rencontres. Les présentateur·rice·s bénévoles, sont conscient·e·s que la recherche ne doit pas être choyée et noyée dans une pile d’articles scientifiques, et que le savoir n’a de portée que si reçu par un·e citoyen·ne. Blandine explique qu’elle a contacté l’UPop pour proposer son cours quand elle est arrivée au Canada l’année dernière. Elle mène une recherche transculturelle en Corse, au Cameroun, et au Québec. Même si elle venait à enseigner dans un contexte universitaire traditionnel, c’est l’esprit critique du citoyen qu’elle veut stimuler plutôt qu’enseigner une technique ou une théorie : « J’aimerais enseigner aux professionnels, aux ingénieurs de l’environnement. Je pense qu’on devrait les aider à travailler leur propre rapport à l’environnement pour voir des répercussions positives sur leur travail. » Lors de son cours sur la gestion des déchets, elle a apporté une valise entière de livres qui ont nourri sa recherche. Elle les dispose sur une table du café pour que les participant·e·s puissent les regarder, voire les emprunter.

« Au-delà des droits et des devoirs du ou de la citoyen·ne, l’éducation est un muscle d’empathie et d’émerveillement pour tout ce qui nous entoure au quotidien »

Ouvrir notre troisième oeil

Une question socialement vive donne l’occasion d’enquêter sur son quotidien et d’aiguiser un regard sur la réalité de nos rues, de nos voisin·e·s, du contenu sur notre flux en ligne, des aliments que l’on mange. C’est ce qui peut manquer à l’université, qui nous apprend des cas pratiques et des théories du 20e siècle alors que le 21e siècle continue de se dérouler, qu’on y participe activement ou non. Blandine soulève que « 60 à 80% des apprentissages se font en dehors des institutions ». Rien qu’en assistant à l’intervention engagée de Blandine, le jet d’ordures dans la rue, l’emballage de tofu jeté après la préparation d’un repas et le passage du camion poubelle le lundi matin peuvent être perçus différemment. L’œil est aiguisé sur le présent parce qu’il a compris le passé : la recherche est contextualisée dans l’Histoire et les définitions de ses termes clés. Par exemple, Blandine brosse le portrait du déchet dans son contexte sociohistorique, en comparant des sociétés, la représentation du déchet pour les pauvres et les riches, sa symbolique, et se concentre ensuite sur le présent et la façon dont il est abordé aujourd’hui. Elle compare sa place dans nos rues et dans les rues du Cameroun et de Corse, où elle a aussi mené sa recherche. Blandine mentionne la façon dont les objets ont remplacé les mots dans les déclarations d’amour, d’amitié, de félicitations : on offre des cadeaux plutôt que de parler, ce qui participe à une consommation démesurée.

Une organisation qui reflète la mission

Au sein de l’UPop, il n’y a pas de recteur·rice ni d’administration : tous les membres du collectif bénévole proposent des chercheur·se·s à contacter et reçoivent les propositions de chercheur·se·s enthousiastes. La mission de l’UPop ne s’arrête d’ailleurs pas à l’organisation des rencontres : les séances sont publiées sur leur site sous forme de balados ou de vidéos. « On fait avec ce qu’on a ! », s’enthousiasme Alex, membre du collectif organisationnel. Un pot est placé à la fin de la séance pour amasser des dons qui servent au bon fonctionnement de l’UPop, comme l’achat de micros-cravates pour enregistrer les prochaine séances.

Dans les universités classiques, des conférences ouvertes au public rendent accessibles des angles d’actualité aux citoyen·ne·s – souvent les étudiant·e·s de l’université – dans tous les départements. Au-delà des droits et des devoirs du ou de la citoyen·ne, l’éducation est un muscle d’empathie et d’émerveillement pour tout ce qui nous entoure au quotidien.


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