Aller au contenu

Une année de plus, mais toujours pas plus certaine

Choisir entre études, travail, voyage ou tout ce dont on rêve.

Eileen Davidson | Le Délit

Hier, je célébrais mon anniversaire. Aujourd’hui, je suis une année plus vieille, et une année plus proche de la fin. Malgré tout, je vois cette nouvelle année comme un nouveau début. Cette année marque aussi la fin d’un chapitre important, avec ma remise de diplôme qui arrive à grands pas. Bien que je tente de me rassurer et de rester optimiste face au futur, ça reste une période d’instabilité, d’incertitude, et je ne sais à quoi m’attendre des mois qui viendront.

On parle souvent de la vingtaine comme des plus belles années d’une vie, d’une ère de liberté teintée par la frivolité et la légèreté d’esprit. On en parle comme d’une période d’exploration de soi. On souligne ces soirées qui ne finissent jamais, ces départs en voyage sur un coup de tête, cette liberté intarissable. Et quelque part, il y a du vrai dans ce portrait de la vingtaine. Mais, on parle beaucoup moins souvent du vertige que cette période peut impliquer, surtout vers la fin des études. Ce moment étrange où les repères tombent un à un, où les échéances changent de nature. Ce ne sont plus des devoirs à remettre ou de la matière à apprendre par cœur, mais plutôt des candidatures à envoyer, des décisions à prendre, et des portes qui se ferment parfois avant même qu’on ait pu les pousser.

Depuis que je suis toute jeune, les différentes étapes de la vie étaient relativement balisées : l’école primaire, le secondaire, le cégep, puis l’université. On avançait tous ensemble à travers ces étapes préétablies, ce calendrier commun. Notre vie était dictée par un rythme que l’on partageait tous plus ou moins, qu’on suivait tous. Et maintenant ? Il n’y a plus de sentier battu. Certains d’entre nous cesseront leurs études, certains poursuivront des études universitaires de deuxième cycle. Certains travailleront dans le champ professionnel auquel ils ont dédié leurs études. D’autres changeront complètement de milieu. Il n’y a plus de guide : nous sommes, plus que jamais, libres. Cette liberté, bien qu’elle ait une part de beauté, est profondément angoissante — du moins, pour moi.

J’ai 23 ans. Je suis jeune. C’est ce qu’on me répète souvent. Mais pourquoi, alors, ai-je l’impression d’être en retard ? Pourquoi est-ce que chaque jour passé à ne pas « avancer » me semble perdu ? Ce sentiment, je sais que je ne suis pas seule à le ressentir. Autour de moi, plusieurs amis vivent la même chose : une sensation d’être suspendus dans les airs, entre deux mondes, celui de la vie académique et l’autre de la vie professionnelle, à la fois pressés d’agir et paralysés par la peur de se tromper. Détenteurs de baccalauréats, nous espérons pouvoir faire ce que nous désirons, mais rien n’est si simple. Un dilemme se présente à moi et à tous ceux qui graduent : poursuivre ses études, entrer sur le marché du travail ou voyager, lâcher tout pour voir le monde ? Faire une maîtrise, accepter n’importe quel emploi en attendant, prendre une année de pause, déménager loin d’ici, rester ? Chaque option semble valide. Et chaque option semble risquée. Chaque option a une part de bien, mais peu importe ce qu’on choisit, des sacrifices devront être faits.

Ajoutons à mes angoisses un marché du travail extrêmement compétitif qui n’aide en rien.

Trouver un emploi à Montréal en ce moment, ce n’est pas une mince affaire. Même avec un baccalauréat en main, même en étant bilingue, même en ayant fait tout ce qu’il fallait. Les stages, le bénévolat, les jobs étudiants. On m’avait dit que ça paierait. Pourtant, tous les emplois qui semblent intéressants exigent souvent plusieurs années d’expérience ou des qualifications qu’aucun jeune diplômé ne peut espérer avoir. Comment peut-on commencer au bas de l’échelle si ce bas est lui-même inatteignable ? Comment puis-je prouver que j’en vaux la peine ?

« Autour de moi, plusieurs amis vivent la même chose : une sensation d’être suspendus dans les airs, entre deux mondes, celui de la vie académique et l’autre de la vie professionnelle, à la fois pressés d’agir et paralysés par la peur de se tromper »

Tout ce qu’il reste à faire, c’est se comparer. Comment peut-on l’éviter ? On se compare à ceux et celles qui ont obtenu la maîtrise de leurs rêves, qui partent en Europe vivre leurs ambitions, qui démarrent un projet, qui semblent avoir trouvé leur voie. Une part de moi est heureuse pour eux, mais il est quasi impossible d’éviter de ressentir un peu de jalousie. Je tente de me convaincre que chaque parcours est unique, que ce n’est pas une course. Et surtout, que même ceux qui semblent les plus confiants ont aussi des doutes, des échecs et des questionnements.

Le plus important, à mon avis, c’est d’apprendre à normaliser l’incertitude. À se dire que c’est pas si
mal de ne pas savoir tout de suite. Qu’il est acceptable de prendre une pause, de réfléchir, de se tromper de chemin pour mieux avancer par après. Que de faire un choix maintenant ne signifie pas se condamner à jamais à cette décision. C’est mon cas actuellement, et on ne m’a pas assez souvent dit que c’était normal de se tromper, de se questionner, d’angoisser face au futur.

On a grandi dans un monde qui valorise la productivité, la performance, la rapidité. Ce que j’ai envie de dire aujourd’hui, c’est que ce qui demande le plus de courage, c’est de ralentir, de se poser les questions, de prendre le temps de se demander ce qu’on veut vraiment. J’ai eu envie moi aussi de sauter immédiatement vers la maîtrise, parce que c’était un choix qui impliquait peu de remise en question, peu de changement dans mes habitudes. Il aurait été bien plus facile pour mon esprit de continuer dans la lignée où j’évolue déjà, mais il est bien plus courageux que je me pose pour réfléchir à ce que je désire vraiment. Bien que cela puisse donner l’impression de stagner, c’est un travail qui représente largement plus pour mon futur.

Je ne sais pas exactement où je serai dans six mois. Peut-être ici, peut-être ailleurs. Peut-être à la maîtrise. Peut-être en plein changement de domaine — pas parce que je n’aime pas ce que je fais, mais parce que ça fait longtemps que je me suis demandé si j’aimais vraiment ce que je faisais. Peut-être que je serai encore à la recherche de ce qui me passionne réellement. Et honnêtement, ce n’est pas aussi dramatique qu’on nous le fait croire.


Dans la même édition