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Une approche trop tiède pour un sujet brûlant

Critique de Jouer avec le feu.

Stu Doré | Le Délit

L e dernier film des sœurs Delphine et Muriel Coulin, Jouer avec le feu, s’attaque à un sujet brûlant d’actualité : la radicalisation d’un jeune homme au sein de l’extrême droite. Le long-métrage adopte une approche intimiste en suivant le parcours d’un père veuf incarné par un Vincent Lindon bouleversant, confronté à la dérive de son fils aîné. Mais si l’ambition est louable, l’exécution laisse perplexe.

Un drame familial avant tout

« C’est un film sur l’amour filial plus que sur la menace que représente l’extrême droite, et c’est là que le bât blesse »

Plutôt que de documenter la radicalisation, le film en capte l’écho à travers le prisme familial. Si ce choix permet une plongée sensible dans la sidération et l’incompréhension du père, il frustre néanmoins par son refus d’aller au-delà de la sphère domestique. Tout comme Pierre, on ne peut qu’assembler des bribes, sans jamais être un témoin direct de l’endoctrinement de Fus (Benjamin Voisin). Ce parti pris narratif, bien que défendable, atténue la portée politique du récit : les antifascistes restent hors champ, les victimes de l’idéologie de Fus invisibles, et la violence qu’il perpétue, quasi inexistante à l’écran. C’est un film sur l’amour filial plus que sur la menace que représente l’extrême droite, et c’est là que le bât blesse.

Une radicalisation hors champ

Ce n’est pas par manque d’expertise ou par prudence que les réalisatrices se contentent de suggérer la déchéance du fils aîné : des documentaires sur la résurgence des discours masculinistes et du fascisme, en France ou ailleurs, il y en a d’excellents, comme Generation Hate (2018), qui ne filtrent pas cette réalité à travers le tamis de la fiction. Non, pour les Coulin, il s’agit plutôt d’observer les répercussions au sein de la famille de ce soudain virage à droite. Comment peut-on en arriver là ? La réponse n’est jamais énoncée clairement. Pas par pudeur, mais parce qu’il n’y en a pas.

L’aveuglement involontaire du père est d’ailleurs évoqué subtilement à travers plusieurs scènes : lorsqu’il éteint la radio pile au moment où l’on aborde la désillusion politique des jeunes, ou quand il zappe sans un mot le téléjournal dénonçant la résurgence des rassemblements nazis pour se réfugier dans un match de foot. Ce n’est que lorsqu’il est déjà trop tard qu’il commence à s’opposer aux comportements de son fils. Sans condamner Pierre, le film pointe du doigt cet aveuglement, cette complaisance qui laisse le terrain libre aux idéologies toxiques. Et dans un monde où les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans la diffusion de ces discours, cette mise en garde résonne avec une acuité troublante.

Entre retenue et insuffisance

Malgré le souci catégorique des sœurs Coulin d’éviter le manichéisme, elles proposent pourtant un scénario assez bancal : le fils ainé se révolte, s’embrigade, se radicalise. Quelques moments doucereux en famille. Fus est peut-être fasciste, mais il n’est pas un si mauvais garçon. Oh ! Il se fait tabasser par des antifas à un rassemblement nazi. Pauvre lui. Est-ce ce qui le convaincra enfin qu’être nazi, c’est mal ? Et non, il se venge en s’en prenant à ses persécuteurs. Il écope d’une sentence de 20 ans en prison. Vincent Lindon est triste. Générique de fin. Conclusion : le nazisme, ça craint. Le meurtre, c’est mal. Je n’avais pas besoin de visionner un film de 120 minutes pour l’apprendre.

Jouer avec le feu laisse une impression d’inabouti. La nuance, revendiquée par les réalisatrices, se transforme parfois en esquive. Certes, on comprend que le but n’était pas d’humaniser Fus, mais de questionner jusqu’où l’amour parental peut survivre à l’horreur. Pourtant, en évacuant toute analyse approfondie de la radicalisation, le film semble contourner son propre sujet. S’intéresser aux relations familiales est une chose, mais quand le contexte implique le fascisme, peut-on vraiment se permettre de rester en surface ? À vouloir éviter la démonstration frontale, Jouer avec le feu risque de minimiser l’ampleur du problème qu’il prétend observer. 


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