Fausse alerte ou concurrence véridique, le HuffPost (c’est le surnom donné à la plate-forme d’actualités web) apporte un nouveau modèle de gestion au Québec. Le site recrute des blogueurs du milieu culturel et politique, dans le cas échéant, du Québec, pour produire du contenu sur une base bénévole. Les quatre journalistes permanents, les deux contractuels et les pigistes seront toutefois rémunérés. Le Huffington Post, fondé par Arianna Huffington aux États-Unis, a récemment été racheté par la firme AOL pour 315 millions de dollars. Le site avait déjà fait son entrée au Canada et en France en 2011.
Au Québec, il est difficile de trouver un équivalent, sinon peut-être le site canoe.ca, dont l’ex-rédacteur en chef du site de nouvelles est maintenant le rédacteur en chef et éditeur du HuffPost Québec. Patrick White note cependant que le Huffington Post adopte une stratégie médiatique complètement différente qui mise sur « une intégration totale des médias sociaux dans toutes ses opérations et une stratégie très poussée d’utilisation de mots-clés (tags) dans les textes, vidéos et photos afin d’apparaître très haut dans les moteurs de recherche ».La publication de contenu par des auteurs non-rémunérés avait déplu à plus d’un, notamment au journal Voir, dont le site web comporte une plate-forme similaire de blogueurs assez suivis. Simon Jodoin, directeur du développement des nouveaux médias, a réagi sur son propre blog sur voir.ca pour exprimer la consternation et la surprise de toute l’équipe éditoriale quant à la participation de Françoise David et d’Amir Khadir aux blogues de l’entreprise lucrative. Ceux-ci pensaient y trouver un nouveau porte-voix pour la gauche au Québec.
Les deux chefs de Québec Solidaire ont cependant changé d’idée par la suite. Ils ont annoncé par communiqué le 22 décembre qu’ils s’abstiendraient de toute collaboration directe avec le journal en ligne, bien qu’ils aient affirmé qu’«il n’avait jamais été question […] de produire du contenu original ou exclusif pour ce média ». Cette abstention est venue au « grand soulagement » de monsieur Jodoin.
Du fait de la sortie en force du Voir pour dénoncer le modèle controversé, certains des blogueurs qui avaient été approchés se sont rétractés ou sont « en réflexion » selon Simon Jodoin. C’est le cas de Normand Baillargeon, auteur du Petit Cours d’autodéfense intellectuelle. Le professeur Baillargeon avait d’abord donné son accord, « ayant en mémoire le Huffington Post des États-Unis », qu’il considère comme une source de nouvelles « libérale et sérieuse ». Il ignorait que le site avait été vendu pour en faire un géant Internet. Il tient à souligner cependant « que le Huffington Post Québec n’a rien à se reprocher ». Normand Baillargeon a commencé la semaine dernière un blog sur voir.ca, qui a lancé une vingtaine de nouveaux blogues, pour lesquels tous les revenus seront redistribués à leurs auteurs.
Certains avaient perçu la réaction du Voir comme un signe que le journal craignait la concurrence du futur site d’actualités. Normand Jodoin affirme que voir.ca ne se sent en aucun cas menacé par le Huffington Post. Le site, principalement culturel, a une spécificité implantée, une émission de télé. Il a une niche particulière, ce qui fait sa force, pense le directeur.
Il est difficile de savoir si le journal en ligne sera assez achalandé pour dérober les revenus publicitaires à d’autres sites d’information ou journaux en ligne. C’est pourtant ce qu’affirme monsieur White. Martin Lessard, spécialiste en stratégies web et médias sociaux met de l’avant la participation citoyenne comme nouveau moyen d’attirer des visites sur les sites d’information en ligne et donc maximiser les revenus publicitaires. Il pense qu’à la venue du HuffPost les autres journaux en lignes « vont peut-être devoir s’adapter en trouvant des moyens d’inclure les citoyens dans l’écriture de nouvelles ». C’est ce que fera le HuffPost en mettant l’accent sur les opinions, les blogues et les médias sociaux.
Par contre, monsieur Lessard ignorait que le contenu non-éditorial du HuffPost serait soumis aux mêmes étapes d’édition et de vérification des faits et que leur centaine de blogueurs sont des « citoyens » choisis pour leur expérience singulière. Les canaux de participation seront les mêmes que dans les autres journaux, à l’exception de la section Contact, où les lecteurs pourront envoyer des lettres, des exclusivités, des photos ou des vidéos. Il reste à voir si ce mélange de journalisme citoyen et professionnel sera aussi lucratif au Québec qu’aux États-Unis ou ailleurs.