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L’insoutenable n’est pas là où on le croit

Ce n’est pas de manière innocente que l’on s’attelle au fond de son lit à la lecture d’un récit sur la mort, particulièrement en ce début d’année, période de renouveau et d’enthousiasme, parfois démesuré, s’il en est.

Gracieuseté de Futuropolis

Avec un peu d’appréhension sans doute, on s’attend à une bonne dose de tristesse, de douleur, peut-être un brin d’espoir mais surtout à un certain lot d’insoutenable. D’autant plus lorsqu’il est question de soins palliatifs, sujet particulièrement difficile à aborder de par les débats qu’il entraîne. Sylvain Ricard (récit) et Isaac Wens (dessin et couleur) ont choisi d’allier dessin et paroles pour explorer ce qui est souvent considéré comme l’inexprimable, l’incompréhensible, l’inacceptable : la mort d’un être aimé.

Gracieuseté de Futuropolis
Les premières pages de La Mort dans l’âme (Futuropolis) mettent en scène le souvenir d’un moment heureux entre un père et son fils. Une image marquante et positive s’inscrit dans l’imaginaire du lecteur : un sourire, posé sur l’innocence d’un visage d’enfant, symbole même de la vie. Nous sommes rapidement projetés dans le présent : un vieil homme est accueilli dans une maison de soins palliatifs (le père de cet enfant qui pourrait bien avoir perdu son sourire pour toujours).

Dans un rythme réaliste et lent, le lecteur partage les derniers instants de la vie de ce vieil homme dont on ne sait pas grand-chose –d’où il vient, qui il est, ce et ceux qu’il a aimé de son vivant, tous ces détails sont éclipsés ; comme si, face à la mort, plus rien n’avait d’importance que son imminence.

On évolue pendant une centaine de pages couleur sépia dans ce « mouroir pour vieux » en suivant les réactions des deux personnages principaux, le père et le fils, face à la mort qui fraie son chemin entre les médicaments du patient et le Tour de France, qu’il suit activement comme sa dernière course.

Le problème de cette thématique, relevant de l’indicible, c’est qu’en essayant de l’exprimer, l’auteur prend le risque de tomber dans la pédagogie, le rationnel, et donc dans une distance froide. Lors de la première lecture, il semble que Sylvain Ricard ne rate pas cette triste chute.

Le flot de parole de cet album épuise tant il cherche à expliquer, voire à justifier la colère du fils, la douleur du père. Ricard finit même par évoquer avec maladresse l’euthanasie en l’analysant froidement. On aurait aimé davantage de silences à travers une certaine acceptation réservée de la peur et de la fin.

Pourtant, il apparaît rapidement que les dessins, sobres et délicats, d’Isaac Wens rétablissent un certain équilibre dans l’album, créant une proximité émotionnelle avec le lecteur par les tons sombres utilisés à chaque page. Face aux dessins, on en vient ainsi à se demander si, réflexion faite, ce n’est pas cette opposition entre la froideur des discours et la beauté malgré tout chaleureuse des dessins qui fait la réussite de l’album.

Seul véritable bémol au succès de cette bande dessinée, la fin semble trop traditionnelle, ce qui la rend décevante. C’est en effet un épilogue qui met en scène le fils, lui-même devenu père, sur une calme plage, profitant de sa vie de famille, que Ricard et Wens nous servent sans complexe. Il aurait peut-être été plus douloureux de finir sur une image de mort, mais celle-ci aurait été plus intéressante et originale, car elle aurait touché la question du soulagement, pour celui qui part, si ce n’est pour celui qui reste. Ceux qui restent vivront, nous le savons. Le visage de la mort ne finit jamais de hanter les vivants, même si la vie continue. À la fin, ce n’est peut-être pas la mort en elle-même qui est insoutenable, mais notre volonté incessante de l’atténuer par le biais du visage souriant d’un enfant.


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