Manrico, fils prétendu de la sorcière Azucena, est un trouvère (il trovatore) bien-aimé de Leonora. Le Comte de Luna en est jaloux. Le seul obstacle est que Manrico et le Comte sont frères, mais, pis, ils l’ignorent.
L’Opéra de Montréal s’est transporté dans l’Espagne du 15e siècle pour cette œuvre de Verdi datant de 1853. Entre costumes colorés et décors sobres et modernes, Oriol Tomas met en scène un classique de la Trilogie Populaire du compositeur italien avec un souci du détail assez remarquable. Le duo coréen-japonais ténor-soprano lyrique que forment Dongwon Shin et Hiromi Omura fonctionne plutôt bien, même si l’on peut reprocher à l’interprète de Leonarda de délivrer une performance un peu trop académique, bien qu’elle fasse preuve d’une aisance surprenante lors des moments clés en soliste à l’instar d’un air « D’amor sull’ali rosee » parfaitement maîtrisé.
Malgré un début qui peine quelque peu, très vite tout se met en place et l’Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Francesco Maria Colombo, tout comme les Chœurs de l’Opéra de Montréal, livrent une prestation de qualité.
Dongwon Shin, surtout au troisième acte et pendant « Di quella pira, l’orrendo foco », semble avoir charmé une audience sensible à l’émotion de la voix du ténor, même si certains ont entendu des sifflets lorsque le rideau s’est baissé. Les joies de la scène.
Mais le tableau final et le duo baryton-mezzo-soprano entre Gregory Dahl et Laura Brioli (le Comte et Azucena) reste l’un des meilleurs moments. Nous sommes mis devant une scène finale où l’on découvre, si l’on veut bien jouer le rôle innocent conféré au spectateur, que Manrico n’est que l’instrument d’Azucena désirant venger sa mère, brûlée quelques décennies plus tôt. « Sei vendicata, o madre ! E vivo ancor ! » (« tu es vengée ma mère ! Et elle vit encore ! »)
L’opéra est un art qui se savoure même quand on en connaît la fin. Il trovatore est sûrement l’un des plus grands classiques du romantisme, même si on peut lui préférer Nabucco ou encore Rigoletto. Les interprètes contemporains se sont fortement appropriés la façon de présenter l’œuvre, si bien que cette dernière a beaucoup changé durant les vingt dernières années.
Tant musicalement que sur scène, à l’instar du décor simpliste, parfois aux limites de l’épurement, cette appropriation d’une œuvre aux exigences très spécifiques peut devenir problématique. En d’autres termes, manque-t-il quelque chose à Il Trovatore, tel que présenté à l’Opéra de Montréal ? Objectivement, non. Tout semble au rendez-vous.
Il faut se pencher sur l’alchimie entre les interprètes pour comprendre le potentiel problème. L’alchimie qui manque à la troupe nous pousse en effet à trop percevoir la représentation comme un enchainement de morceaux séparés les uns des autres, alors qu’on préférerait témoigner d’un « ensemble », comme l’opéra devrait toujours créer.
Le professionnalisme by the book serait-il aujourd’hui tel qu’on en viendrait à un excès de perfectionnisme déteignant grandement sur l’émotion qui peine à ressortir au bout des quatre actes ?
Entre les « brava » intempestifs d’un spectateur, souhaitant visiblement interrompre les scènes pour encourager le reste de la salle Wilfrid-Pelletier à applaudir à outrance, peu était laissé à l’OSM pour faire briller les dernières mesures de ces airs mondialement connus mais désormais oubliés. D’autant plus que les surtitres ont l’admirable effet de rendre dépendant le spectateur à ce qui se déroule hors de la scène afin de la comprendre. Voyez l’ironie.
L’opéra se vit donc presque comme un concert au Centre Bell. Pourtant, l’Opéra de Montréal nous a surpris et continuera de nous surprendre. Il Trovatore demeure une prestation éminemment construite et fidèlement donnée qui sait définitivement attirer le grand public montréalais avec sa très belle programmation.
On a beau dire que l’Opéra de Montréal ne surprend pas, l’expérience lyrique est si rare et tout de même d’une qualité si remarquable qu’elle s’apprécie davantage, même si l’institution montréalaise a encore du chemin à faire pour rivaliser sur la scène internationale.
Enrico Caruso avait un proverbe : « Les Français sont faits pour composer de la musique d’opéra, les Italiens pour la chanter, les Allemands pour la jouer, les Anglais pour l’entendre, et les Américains pour la payer. » Il serait temps de faire mentir ce cher Enrico.
Il Trovatore
Où : Salle Wilfrid-Pelletier – Place des Arts
Quand : du 24 au 28 janvier