Le texte, écrit en 1919 par Brecht, décrit un repas de noces rassemblant le Marié avec sa Mère et son Ami, la Mariée avec son Père et sa Sœur, et un autre couple marié (l’Homme et la Femme). Tout au long de cette soirée pénible pour tous, la scène résonne de rires gras, de moqueries cruelles, de récits stériles, et se salit de crème chantilly et d’alcool coulant à flot. Les invités finissent par s’enfuir alors que la soirée est encore bien jeune, laissant les mariés abattus. On peut facilement s’imaginer la nouveauté pour l’époque. Brecht ne fait pas dans la dentelle dans sa critique sociale de la bourgeoisie de son temps, qui comporte de multiples dénonciations : la virginité avant le mariage, la famille patriarcale, la femme au foyer, sans oublier la cruauté et l’animalité de l’homme.
La mise en scène, à l’exception de la direction des acteurs, laisse un sentiment d’ambivalence. La pièce démarre pourtant en grand avec l’arrivée des convives, déjà trop bruyants pour être vrais, trop grotesques pour être authentiques. Le spectateur s’attend déjà à voir jaillir les incivilités, les pulsions, les cris gutturaux et les malaises de toutes parts. Pourquoi le metteur en scène et le scénographe choisissent-ils de rajouter du symbolisme ? Ce dernier, illustré par l’ésotérisme d’une grande lanterne chinoise qui clignote soudainement d’un bleu électrique pour tétaniser l’assemblée, la Mariée pratiquant la télékinésie, la Mère qui occupe le trône du Père en faisant du tricot en silence, l’arrivée impromptue d’une poupée-cadavre, le corbeau géant qui perd ses yeux ‚laissant ainsi passer la lumière derrière le mur, est superflu.
Le choix des répliques présentées en boucle et la scène de la toilette semblent aussi douteux. Autant de choix de mise en scène éparpillés qui sont peut-être porteurs de sens mais qui restent trop hermétiques à la compréhension des spectateurs par rapport au texte. Ainsi, les spectateurs rendus perplexes, les moments potentiellement comiques passent inaperçus. D’un autre côté, on peut saluer le choix de ponctuer le chaos de moments silencieux suspendus dans le temps, créant des malaises sournois. La métaphore de Brecht des meubles qui se brisent tout comme les valeurs de l’époque est aussi bien transposée sur scène.
Les costumes d’époque paraissent plus appropriés à la pièce, sauf l’habit contemporain de la Femme, dont les collants d’un fuchsia agressif jurent avec le reste, et le visage poudré de l’Homme. Il faut aussi souligner l’inutilité de l’écran vidéo faisant office d’aquarium. L’environnement sonore ajoute bien à l’ambiance tout en cherchant trop à faire le tour du monde, en passant des chants bouddhistes tibétains à la musique de nô japonais.
Du côté des acteurs, chacun nous offre une performance honorable. Enrica Boucher réussit particulièrement bien à irriter dans son rôle de la Femme détestable. Le tour de chant de l’Ami, Paul Ahmarani, constitue quant à lui une belle performance.
En bref, le texte de Brecht a jadis été avant-gardiste et montre maintenant quelques rides. Heureusement, au fil des ans, il a fait d’innombrables petits et les thèmes et variations autour du mariage ont été maintes fois actualisés. Quant à Gregory Hlady, sa volonté de surligner les non-dits et d’étoffer le texte par un symbolisme appuyé est louable mais inattendue ici et se prêterait mieux à d’autres pièces. La mise en scène souffre de sa bestialité, dénaturée par son suremballage dans un bric-à-brac confus.
La Noce de Bertolt Brecht
Où : Théâtre Prospero
1371 rue Ontario Est
Quand : jusqu’au 11 février