Le célèbre acteur français Daniel Auteuil propose comme première œuvre un remake du film de Marcel Pagnol La fille du puisatier, sorti en 1940. Le réalisateur reprend les formules devenues classiques dans les films de Pagnol, puis consacrées par Claude Berri dans Jean de Florette et Manon des sources. Les caméras survolent de jolis paysages de Provence, les personnages sont vrais plutôt qu’exubérants, les thèmes musicaux sont poignants.
On peut féliciter Daniel Auteuil d’avoir réécrit les passages qui auraient été nécessaires à l’œuvre originale. Lorsque l’assistant Felipe (Fernandel) essaie de convaincre son patron Pascal Amoretti (Daniel Auteuil) que nul autre que lui-même serait le bon prétendant pour Patricia Amoretti (Astrid Bergès-Frisbey), le père possessif met plus longtemps à se laisser gagner, un détail qui augmente la crédibilité du scénario. Par contre, certaines extensions auraient mérité de n’avoir jamais existé : pourquoi faut-il que l’on sache ce que Felipe commande au serveur alors qu’il vient de se faire lâcher par Patricia, qui est allée rejoindre son riche aviateur ? Bien sûr qu’il se saoule !
L’histoire vieillit mal
Lorsque Marcel Pagnol tournait La fille du puisatier, les Allemands envahissaient la France. C’est le régime de Vichy qui a censuré un fameux monologue de Patricia Amorett, à propos de la fierté que doivent les Français à leur pays et du besoin de le défendre à tout prix. Daniel Auteuil n’a pas restitué ce passage –en 2011, les enfants de la patrie trouvent-ils anachronique d’honorer la France ?
Il semble en effet que l’adaptation gâche l’intention originale de l’œuvre de Marcel Pagnol. En musique, on dit souvent que les silences sont plus importants que les notes : lorsque Jacques fait ses avances à Patricia, embarquée sur sa moto, les silences supprimés suggèrent qu’Astrid Bergès-Frisbey joue un rôle de fille facile, alors que Patricia Amoretti, incarnée par Josette Day en 1940, représentait toute la pudeur qui convenait aux jeunes femmes du temps.
La pire erreur provient du grand moment d’intensité dramatique écourté –du départ de Jacques jusqu’à son retour– alors que le dénouement est trop long pour la tension accumulée durant le film. En résulte une touche mélodramatique qui était mieux équilibrée dans la version de Marcel Pagnol.
Pour que le film fonctionne, il aurait fallu les mêmes longueurs dans les dilemmes et la détresse qu’avait imaginés Marcel Pagnol.Peut-être que cela n’esl plus possible, vu le marché et l’auditoire actuel. Daniel Auteuil, malgré une créativité évidente dans l’écriture de l’adaptation, ne parvient pas à faire revivre l’œuvre du réalisateur culte de Provence. L’acteur, qui avait connu le triomphe avec Jean de Florette et Manon des sources, a‑t-il visé la consécration en tant que réalisateur en utilisant la même formule ? Dans ce cas, il n’y est pas arrivé.
Les acteurs
Astrid Bergès-Frisbey est resplendissante dans le rôle de Patricia Amoretti. Elle convient mieux à la sensualité contemporaine qu’une Josette Day aux courts frisottis blonds. Nicolas Duvauchelle rate le rôle du pilote Jacques Mazel avec son air hautain et vaseux, inchangé malgré les fluctuations de la tension dramatique –il a l’air de ne jamais comprendre l’ampleur de la situation. Daniel Auteuil joue un père de famille fier, dont le sens de l’honneur surdéveloppé pousse jusqu’à la férocité. Il incarne toute la force mâle d’une époque révolue. Si tous les personnages de La fille du puisatier souffrent des pressions sociales de leur époque, Daniel Auteuil exprime mieux que quiconque le paradoxe qui les accable. Sont-ils tous coupables, Patricia et Jacques à cause de leur union hors mariage, Marie Mazel pour n’avoir pas prévenu Patricia du départ du pilote, le père Mazel et ensuite Pascal pour avoir empêché l’union des deux familles, ou ne sont-ils pas victimes de leur temps ? Il s’agit du message crucial de l’œuvre. Et pourtant, le public d’aujourd’hui se moque de ce vieux père misogyne aux propos ridicules qui semblent si anachroniques.
La fille du puisatier, un film important qui nous expose les troubles d’une société prude qui ne peut souffrir les enfants conçus dans le péché, aurait dû rester dans les archives du cinéma français de la Seconde Guerre mondiale. Daniel Auteuil fait pourtant preuve d’un potentiel qui pourrait se révéler dans un deuxième film ; il ne lui reste qu’à s’affranchir de son passé.