Madame la Principale,
J’ai lu avec attention votre message concernant l’intervention des forces de l’ordre et je me permets de vous faire part de mes inquiétudes.
Au cours de l’histoire, certaines universités notamment européennes ont bénéficié d’une autonomie allant jusqu’à disposer de leurs propres tribunaux, ce qui n’a pas toujours eu des conséquences positives. Cette période est révolue, mais l’idée était aussi de fournir un environnement propice à la critique, à l’émergence de savoirs et à la créativité. Les universités sont des lieux de contestation dans le sens le plus noble du terme, mais aussi des lieux d »expression de voix réduites par ailleurs au silence. La question n’est pas que l’on approuve ou non les méthodes ou les revendications des occupants, mais la question est de savoir pourquoi en est-on arrivé là. Pointer l’autre comme étant responsable de tout est infantile. L’université McGill se félicite de son excellence ; il s’agit de la mériter.
En faisant intervenir les forces de l’ordre à deux reprises en l’espace de quatre mois, il semblerait que la résolution de conflit prenne un sens particulier dans l’esprit de l’administration.
Pour l’ancien enseignant que je suis, un des principes fondamentaux d’une bonne gouvernance est celui que le tout répressif ne conduit qu’à des solutions transitoires et ne règle pas la question de fond. L’ignorer est une faillite éthique.
Ne pensez-vous pas que cela fasse la démonstration d’une gestion de conflits critiquable et passéiste ? Si des personnes ont été visées personnellement par les uns ou les autres, c’est regrettable ; la résolution de conflits en conformité avec les valeurs notre pays suppose que l’on s’écarte de la personnalisation ou de la diabolisation. Pourquoi ne pas avoir fait appel à un médiateur indépendant ? Certes, cela aurait pris du temps, le résultat n’aurait pas été garanti non plus, mais au moins une certaine dignité aurait été préservée.
Clairement les clés et le pouvoir sont du côté de l’administration ce qui implique des responsabilités qui ne sont pas assumées dans la mesure où la réponse est toujours la même. Il s’agit là d’une spirale pour le moins inquiétante et qui n’est pas de bon augure pour de futures discussions. C’est une faillite morale.
Vous hiérarchisez clairement la notion de liberté de travailler dans des conditions de respect de la personne et des biens et la liberté d’expression en faisant prévaloir la première sur la seconde. C’est une faillite intellectuelle.
La Charte canadienne des droits et libertés ainsi que des traditions juridiques diverses s’y sont refusées.
Vous indiquez que les étudiants ont obtempéré aux consignes des forces de l’ordre dans le calme ; y avait-il un doute sur leur capacité à comprendre la situation et sur leur sens des responsabilités ? J’ai été attentif à leurs propos ; parfois certaines administrations universitaires ne sont décidément pas à la hauteur des étudiants qu’ils « administrent ».
Je veux croire qu’un autre McGill soit encore possible.
Soyez assurée, Madame la Principale, de mes sentiments respectueux.
Thierry Battut
Étudiant de maîtrise
DISE
McGill