À la recherche d’une destination exotique pour vous dépayser cet été ? Pourquoi donc pas la Minganie ? Il ne s’agit pas d’un département français d’outre-mer, mais bien d’une région peu connue du Québec, faisant partie de la Côte-Nord, et dont le joyau est l’Archipel-de-Mingan, géré par Parcs Canada. De grands espaces à explorer en perspective, le nombre d’habitants étant si peu élevé qu’on s’imagine être le premier aventurier arrivant dans une contrée vierge… en voiture. Voyager en Minganie, c’est aussi l’occasion de se familiariser avec la culture innue, de se mettre au parfum des luttes sociales et du développement économique d’une région qui a tant à offrir.
En partant de Québec, la route est facile à suivre : il n’y en a qu’une, la 138 ou la célèbre Transcanadienne. Cap vers le nord-est. Il faut faire attention, on y roule très vite, les habitants de la Côte-Nord étant des champions des longues distances. Pour eux, conduire est une seconde nature.
La route est longue lorsque l’on part de Montréal. Une petite pause dans la région de Manicouagan avant d’arriver en Minganie est de mise pour s’acclimater au rythme de la Côte-Nord. À Bergeronnes, on peut s’arrêter pour la nuit au camping rustique Mer et monde Écotours, où les sites de camping offrent une intimité toute chaleureuse. L’écotourisme ou le tourisme responsible est une forme de tourisme qui vise à faire découvrir un milieu naturel tout en préservant son intégrité, qui comprend une activité d’interprétation des composantes naturelles ou culturelles du milieu (volet éducatif), qui favorise une attitude de respect envers l’environnement, qui repose sur des notions de développement durable et qui entraîne des bénéfices socioéconomiques pour les communautés locales et régionale. En effet, le tourisme hors des sentiers battus est une façon pour les petites entreprises de la Côte-Nord d’attirer les visiteurs du Québec et de France et le camping de Bergeronnes en est un bon exemple. Il est possible de s’installer sur des plates-formes de bois à flanc de rocher, avec une superbe vue sur le fleuve. Lorsque le soleil se lève, on a l’impression d’entendre des chevaux s’ébrouer à l’extérieur de la tente. On sort alors en courant ; ce sont plutôt les baleines qui offrent un merveilleux spectacle dans le St-Laurent.
C’est aussi l’occasion de s’initier au kayak de mer. Le kayak de nuit est une manière originale d’observer de près le phénomène de la bioluminescence marine. Grâce à des organismes microscopiques émettant de la lumière et vivant en symbiose sur les baleines, celles-ci deviennent visibles sous l’eau la nuit. Pour les initiés ou les intéressés, il est aussi possible de suivre la Route des baleines en pagayant de Tadoussac à Natashquan.
S’ensuit une longue route de neuf heures pour arriver à Havre-St-Pierre, la « métropole » de la Minganie, forte de ses 3301 habitants, et situé à 651 kilomètres de Tadoussac. Avant d’y arriver, on s’abreuve des magnifiques paysages, toujours en longeant le fleuve. On traverse les magnifiques falaises du secteur des Panoramas entre Franquelin et Baie-Trinité. Les gourmands sont facilement comblés en s’arrêtant aux cantines qui offrent, en plus des éternelles frites, des spécialités locales comme la guédille au crabe frais (variante du hot-dog avec du crabe à la place de la saucisse). Si on a le temps, on arrête à Sept-Îles pour visiter la Maison de transmission de la culture innue, ou Shaputuan. Les Innus, ou anciennement Montagnais selon la désignation européenne, sont la nation autochtone la plus populeuse au Québec. À la sortie de Sept-Îles, une poignée d’Innus manifestent contre le Plan Nord et le barrage de la Romaine sur les rebords de la route 138 et ce malgré le fait qu’Hydro-Québec ait élaboré une opération de charme auprès de la population en promettant des retombées économiques par la création de plusieurs centaines d’emplois.
Madame Dupuis, qui opère le Gîte Dupuis dans sa maison d’Havre-St-Pierre, dit dépendre de l’afflux de travailleurs saisonniers, c’est-à-dire de la construction, afin de boucler son budget annuel. En Minganie, on est conscient des répercussions environnementales et des impacts sociaux du méga-projet hydro-électrique et de l’exploitation minière. Par contre avec les travailleurs, arrive l’argent. Gilles, l’homme-à-tout-faire du Camping de la Minganie, dit cependant que le projet de la rivière Romaine ne profitera pas tant à la région, puisque ce sont surtout des travailleurs de l’extérieur qui seront embauchés.
Après Sept-Îles, les villages et les réserves innues se font plus éloignés les uns des autres. Les descendants d’Européens qui peuplent la côte sont les Paspéyas originaires de Paspébiac en Gaspésie, et les « Cayens », les Acadiens des Îles-de-la-Madeleine, entre qui règne une rivalité amicale. En traversant les réserves innues, on y voit parfois des pancartes prévenant de l’effet de l’alcool et des drogues sur la santé. Elles mentionnent aussi que ces derniers n’ont pas leur place dans les communautés.
Les Innus avaient toujours subsisté de la pêche et de la chasse, pour ensuite se tourner vers la traite des fourrures et la pêche commerciale contre des biens matériels. Avec le retrait de la Compagnie de la Baie‑d’Hudson, le vingtième siècle voit arriver l’industrie forestière, puis hydro-électrique, et finalement minière. Après ces brusques changements, les amphétamines, la marijuana et l’inhalation d’essence font aujourd’hui des ravages chez les jeunes. Il reste donc encore bien du travail à faire pour améliorer l’équilibre entre transmission du savoir ancestral et vie moderne, tout en favorisant des liens étroits avec les cellules familiale et communautaire, et en maintenant une participation active dans le Québec actuel. Une des solutions apportées est la mise en œuvre en 2011 du Programme de langue innue au primaire, élaboré par l’Institut Tshakapesh et le Ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, afin de renforcer l’identité linguistique et culturelle des jeunes Innus.
Après la traversée de l’embouchure de la rivière Romaine, c’est l’entrée de Havre-St-Pierre qui vous accueille. C’est l’endroit idéal pour découvrir la Réserve de parc national du Canada de l’Archipel-de-Mingan, parc d’une trentaine d’îles et d’un millier d’îlots de calcaire, merveille unique au monde trop bien cachée du public. Le centre d’interprétation, où tous les kiosques des compagnies touristiques ont pignon sur rue, est facilement accessible. On monte sur le navire fabriqué des mains du fondateur de la compagnie et après un voyage de 45 minutes, on débarque sur l’île Niapiskau, qui abrite parmi les plus beaux monolithes, et où une guide de Parcs Canada explique l’histoire géologique de l’Archipel-de-Mingan, formé de calcaire il y a de ça 400 à 500 millions d’années. Par la suite, une petite formation botanique est donnée sur l’île Fantôme, où on peut reconnaître des dizaines de plantes de bord de mer. Certaines sont uniques en raison du calcaire dans le sol. Il y pousse entre autres la campanule à feuilles rondes, l’iris à pétales aigus, le thé du Labrador, la mertensie maritime au délicieux goût d’huître, et le séneçon faux-arnica. En fait, la flore de l’Archipel compte 400 espèces différente, dont 100 qui sont considérées rares. On y trouve de plus des fossiles de céphalopode et de gastropode dans la roche.
De retour sur le bateau, le guide pêche des oursins en plongeant une vadrouille dans le fleuve. Il faut oser goûter à ce délice des mers, la partie orange goûtant comme un caviar fin et délicat, une véritable révélation. Le guide dit d’ailleurs que les pêcheurs de la Côte-Nord font du commerce d’oursins à fort prix avec le Japon.
Il faut rester plusieurs jours dans le coin pour profiter pleinement de ce que l’Archipel a à offrir. Les plus aventureux parcourront les îles en kayak et camperont seuls sur une île, alors que les biologistes en herbe feront une sortie en mer avec les scientifiques de la Station de recherche des Îles Mingan. D’autres découvriront les fonds marins du golfe du St-Laurent en plongée sous-marine : concombres de mer, longs laminaires, étoiles de mer, anémones, méduses.
Plusieurs compagnies offrent à partir de ce village des excursions en pneumatique vers l’île aux Perroquets en passant par des îlots occupés par des guillemots, des mouettes, des macareux moines, emblème de l’Archipel, et des loup-marins (phoques), jadis chassés par les Innus. Par la suite, on débarque sur l’île Nue avec la possibilité de faire le tour de l’île à pied pendant quatre heures (7km). Les paysages sauvages sont d’une extrême beauté et ce, tout le long du littoral formé de roches et parfois de sable. L’île est dite nue car il n’y pousse aucun arbre, seulement de la végétation de lande. L’écosystème est si fragile que le visiteur n’a le droit que de marcher en bordure de mer. Par journée ensoleillée, le décor semble irréel, les monolithes saillent clairement dans l’air pur, la blancheur du rivage et le lapis-lazuli de l’eau n’ayant rien à envier à Cuba. Entourés de ces géants de calcaire, on ne peut que se sentir humble devant une nature si majestueuse.
Au gré de ces journées de découverte paisibles, il pourrait arriver de vouloir rouler jusqu’à la mythique Natashquan. Dans ce cas, il faut penser au niveau d’essence de la voiture car les stations-service sont rares le long des 150 kilomètres de tourbière qui séparent Havre-St-Pierre du village de Gilles Vigneault. Jamais autant de mouches ne se sont écrasées sur un pare-brise… On songe aussi à louer l’audioguide routier Sur la route de Natashqua au bureau d’information touristique de Havre-St-Pierre avant de partir.
Natashquan est un joli village en bord de mer, entouré de dunes de sable rouge et noir et de hautes graminées. L’eau de l’océan plus chaude qu’ailleurs crée un microclimat particulier dans cette ville. La Minganie est aussi le pays de la chicoutée, petite baie arctique de couleur orange poussant à ras le sol. À la Crèmerie La Chicoutai, il est possible de déguster des tartes et de la crème glacée molle à la chicoutée tout en longeant la mer sur une promenade de bois. Au campement Montagnais Manteo Matikap à Natashquan, on a l’occasion unique de se familiariser avec l’univers des Innus en dormant dans une de leur tente traditionnelle sur du sapinage. D’autres activités offertes permettent aux voyageurs de déguster des mets traditionnels en compagnie d’aînés, une initiation à l’artisanat et à la préparation de la banique, un pain amérindien sans levure, et du poisson fumé.
Loin de tomber dans la folkorisation des Innus, Manteo Matikap permet d’améliorer la cohabitation fragile entre Innus et descendants d’Européens et de favoriser le dialogue en faisant tomber les préjugés. Natashquan n’est évidemment pas le seul village qui vaille le détour : si on veut repousser les limites, il faudra alors prendre le bateau pour sillonner la Basse-Côte-Nord, ou aller visiter l’intrigante île d’Anticosti qui hante la brume au loin.
À l’été 2011, le nombre de touristes était généralement en baisse en Minganie, selon les opérateurs rencontrés. Le gouvernement du Québec a d’ailleurs dévoilé en novembre dernier la Stratégie touristique québécoise au nord du 49e parallèle : Culture et espaces à découvrir, dotés de futurs investissements de 70 millions de dollars. Ce sera à nous d’aller à la rencontre du Québec et ses multiples nations, ses richesses naturelles cachées, ses saveurs inattendues et pourtant si près d’ici. Le tourisme responsable est une belle façon de faire tourner l’économie locale et de bâtir des ponts entre les régions du Québec.