Les médecines alternatives dites « douces » sont tendances. On voit en général d’un bon œil tout ce qui est « naturel » et donc moins « chimique » que la thérapie par médicament. L’homéopathie, par exemple, génère annuellement environ 3 milliards de dollars aux États-Unis. Il ne s’agit donc pas de pratiques occultes, bobos ou païennes, mais de thérapies très répandues en occident. Je m’explique ce phénomène de trois façons :
La tradition
Les humains ont pris l’habitude de partager leurs connaissances et observations de la nature aux générations suivantes. Ainsi, avant l’avènement des sciences, les observations de l’effet de certaines plantes sur la fièvre, les plaies, ou encore les cheveux, étaient partagées à tout le monde et particulièrement aux générations suivantes. Que ce soit de mères en filles ou de chaman en apprentis, la guérison empiriquement prouvée dans une population suffisait à convaincre. De nos jours, ce peut être notre ami ou un professionnel qui conseille des médecines alternatives. Que l’acuponcture aide des gens depuis des milliers d’année arrive même à convaincre les plus sceptiques comme moi. Que la science ne soit pas arrivée à démontrer son efficacité ne la proscrit pas forcément.
La détresse du malade
Face à la maladie, et particulièrement à la souffrance, un individu cherche à optimiser ses chances de guérir. Je crois que cela tient de l’instinct de survie. S’il y a la moindre possibilité qu’une méthode arrive à soulager la douleur et ainsi à apaiser l’âme, chacun s’y laisserait tenter. Surtout si c’est sans risque.
Les dérapages de la médecine moderne
Le système de santé actuel doit être mis en cause dans la popularité des méthodes alternatives. En fait, c’est même la philosophie de la médecine moderne qui met l’accent sur le traitement plutôt que sur le patient. Les médecins n’impliquent pas suffisamment le patient dans le traitement. Combien de gens savent réellement la teneur et le but des médicaments qu’ils prennent ? Connaissent-ils les risques encourus et les bénéfices engrangés ? Un patient atteint de cholestérolémie, d’hypertension, de constipation chronique, d’insomnie ou de diabète sait-il qu’en faisant de l’exercice de façon hebdomadaire et qu’en changeant son alimentation il n’aurait plus à consommer des médicaments et à en subir les effets secondaires ? Le patient voulant s’impliquer dans sa santé ira donc vers les produits de santé naturels pour se sentir maître de son corps.
L’accès restreint à un médecin de famille peut également être une des raisons. C’est avec ce professionnel qu’une fois par année, au moins, nous pouvons discuter longuement des choix de thérapies, des alternatives approuvées par la science (chiropractie, physiothérapie, diététique), des enjeux et de notre implication dans ces traitements. Nombreux sont ceux et celles qui voguent d’un médecin à l’autre, d’une clinique de sans rendez-vous à l’autre, sans suivi régulier.
Mais à trop dénigrer la médecine moderne, on tombe dans l’encensement des méthodes alternatives qui, elles aussi, comportent leur lot de problèmes. D’abord, les diverses substances qualifiées de « naturelles » sont des molécules actives dans le corps au même titre que les médicaments. Nos cellules ne font pas la distinction à savoir si la substance provient d’une plante ou d’un laboratoire. Les effets secondaires existent, les interactions avec d’autres médicaments aussi.
De plus, les charlatans profitent de la souffrance des malades. Dans ce cas-là, les connaissances ne sont plus familiales et dans un contexte de consumérisme et d’appât du gain, il est facile de flouer les gens.
Un mélange des genres
L’émission Une heure sur terre que l’on pouvait écouter vendredi dernier sur les ondes de la SRC proposait un excellent reportage sur le système de santé français. J’ai été étonnée d’apprendre, vers la 25e minute de l’épisode, qu’un médecin de famille prescrivait de l’homéopathie… Le reporter souligne aussi qu’ils sont 15 000 médecins à pratiquer à la fois la médecine moderne et une médecine alternative.
Je trouve qu’il s’agit là d’un mélange des genres présentant un problème éthique. D’un côté, le médecin bâtit sa réputation sur le consensus social qu’est la science. On trouve une molécule, on la teste, on en expose les limites et les conséquences de façon chiffrée, puis on autorise les médecins à l’utiliser. De plus, l’acte médical est imputable. Si le docteur prescrit trop ou mal, il y a des chiffres, des références pour affirmer qu’il a mal fait.
D’un autre côté, le médecin se base sur des croyances, des similis de preuves scientifiques et des dosages infondés. Aucun consensus social n’appuie ces méthodes et on ne peut imputer le médecin puisque, sans données scientifiques, on ne peut affirmer qu’un tort causé à une personne est dû à la thérapie alternative.
Dans une société, il peut y avoir une cohabitation des médecines alternative et moderne. Le choix existe et l’offre est là, mais mêler références scientifiques et croyances, qu’elles soient fondées ou infondées, ne peut que nuire au patient et à la médecine en général.