La beauté de Montréal se vit quand on marche dans ses rues. Chaque jour, en temps de pluie ou de soleil, on longe ses murs et on explore tous ses recoins. Le vrombissement des voitures ne fait pas taire les murmures des murs de Montréal : des pochoirs, des graffiti et des tags porteurs de messages sont ancrés sur les façades de la ville. Dans le rythme de la routine de chacun, dans l’empressement d’un rendez-vous, ces graphes n’obtiennent parfois pas le regard qu’ils mériteraient.
Oui, les murs sont devenus un support artistique. Les artistes travaillent sur un support malléable et confronté aux conditions environnementales. Leur œuvre se transforme donc avec le temps : les couleurs parfois ternissent. D’autres artistes viennent juxtaposer leur propre travail au leur… Le résultat involontaire peut s’avérer extraordinaire. En effet, il y a quelque chose d’ouvert dans le graphe, car l’art des rues ne tend pas à se replier sur lui-même. Au contraire, il se fond dans le décor, en harmonie avec les objets qui l’entourent, avec les passants anonymes. Il s’impose en toute discrétion.
Les graphes ont non seulement le pouvoir de porter des messages, mais aussi de faire vivre un mur triste. Le contraste entre les couleurs vives et les formes imparfaites des graphes avec les couleurs ternes et les formes rectilignes des murs, des barreaux, des portes et des fenêtres semble rendre les bâtiments plus humains. C’est la trace du passage d’un grapheur dans un lieu à un moment donné, une trace du passé.
Les artistes de rue, en noircissant les murs comme des feuilles blanches, ont donc un rôle à jouer. Ils font parler les murs et expriment la personnalité de la ville, une ville cosmopolite et bouillonnante.
L’art des rues reste illégal. Le graphe est une forme de vandalisme, une atteinte à la propriété publique ou privée. Les idées reçues sur ce milieu sont de fait péjoratives. Néanmoins, il semble parvenir peu à peu à surpasser ses propres préjugés et à s’imposer comme un art.
Il s’agit en effet d’un projet de MU, un organisme à but non lucratif qui agit dans la région de Montréal dans le but de promouvoir la démocratisation de l’art et le développement social. Il propose une nouvelle forme d’urbanisme en revitalisant les murs de la ville, tout en créant ce que ses promotrices, Elizabeth-Ann Doyle et Emmanuelle Hébert, appellent « une galerie à ciel ouvert ». Cet organisme propose des services d’ordre d’entrepreneuriat social pour gérer et conseiller les réalisations de murales en mobilisant plusieurs acteurs autour d’une œuvre culturelle. Voilà deux de leurs nombreuses réalisations :
Dans le quartier latin, All The Mountains Know Me (page 14) est une fresque réalisée en 2009 par Peru Dyer, un artiste péruvien qui s’est inspiré de l’idée d’une quête des origines, d’un monde pur. Un paysage est représenté de manière naïve ; on dirait l’Eldorado, une ville utopique qui regorgerait d’or d’après le mythe.
L’Euphorie des Sages a déjà quatre ans. L’idée de Carlito Dalceggio se fonde sur la renaissance vécue par les artistes des rues, appelés « les sages ». L’artiste fait allusion au calendrier des Mayas. Selon eux, notre ère, qui a commencé le 14 août de l’an 3114 avant J‑C, prendra fin le 21 décembre 2012. Leur conception de la vie est cyclique (non pas destructrice : ils n’annoncent pas la fin du monde). Le passage à une nouvelle ère signifie donc un renouvellement. En effet, l’œuvre fait preuve d’une explosion d’énergie manifestant l’extase des artistes de rue face à cette renaissance.
Cet article ainsi que les autres qui vont suivre sont justifiés par le fait que l’art des rues ne vit pas seul. C’est le regard posé sur celui-ci et les réactions des passants qui le font vivre.