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De l’illusion littéraire

Réflexions sur le domaine de l’édition

« L’humanité n’offre rien de nouveau. Son irrémédiable misère m’a empli d’amertume, dès ma jeunesse. Aussi, maintenant, n’ai-je aucune désillusion. » Voilà ce que ce vieil ours de Flaubert écrivit un jour à George Sand, et ce propos cynique prend son sens si l’on compare l’entrée de l’écrivain dans le milieu de l’édition au passage de l’enfance à l’âge adulte. Les nouveaux auteurs fraichement arrivés sur le terrain sont pleins d’attentes diverses et variées, mais celles-ci se confrontent rapidement aux réalités du métier. Il existe une sorte de ratio dans l’édition littéraire qui veut que sur dix ouvrages publiés, seulement trois dépassent le seuil de rentabilité ; la revue à la baisse des espérances de vente d’un auteur est par conséquent inévitable.
Les écrivains gagnant leur vie au Québec par la seule force de leur plume sont une dizaine tout au plus. Aussi certains écrivains se voient-ils dans l’obligation de cumuler un autre emploi pour subsister, tandis que d’autres vont aborder l’écriture comme un second métier. On se retrouve alors avec des écrivains-garçons de café et des professeurs-écrivains, tout dépend du parcours professionnel.

L’écrivain nouvellement publié hérite de l’étiquette d’auteur ; il sort de sa solitude où le tient le processus d’écriture pour se retrouver face au public, sans carapace devant la critique et son propre regard : celui qui fait le plus mal. La particularité du livre est que la réception n’en est jamais garantie. C’est ce que découvre l’auteur lors des trois ou quatre mois d’angoisse qui avoisinent le moment de la publication du premier roman. « Quatre ans pour écrire un livre, quatre lignes pour l’anéantir » : Albert Camus résumait très bien le pouvoir qu’exerce la critique sur la réception. Il existe en effet une forte pression des médias de masse sur la figure de l’auteur. Celle-ci vient de leur attachement à l’image de l’auteur plus qu’à son texte, du sensationnalisme, et d’une volonté de sans cesse dénicher l’événement médiatique : la « saveur de la semaine », autant de facteurs avec lesquels l’auteur et l’éditeur doivent jouer pour obtenir la reconnaissance qu’ils souhaitent. La visibilité de l’auteur, sa capacité à être repérable dans l’offre, ont en effet une relation directe avec les ventes de son livre, et il va sans dire qu’un passage à Tout le monde en parle a des répercussions positives en termes chiffrés. Dans l’heureux cas où le livre serait un succès en librairie, il existe malgré tout un effet pervers à cette réussite que Samuel Archibald (auteur d’Arvida, Prix des libraires 2012) confiait au Délit lors du Salon du Livre de Montréal : « Le paradoxe du livre qui marche bien, c’est que tu n’écris plus ». Le succès est aujourd’hui chronophage et l’obligation de faire de la promotion nuit à la quiétude souvent désirée pour la création. Ainsi, l’éditeur et son auteur se retrouvent parfois à faire plus de service après vente que de production littéraire, ce qui les force à se positionner selon leur volonté de reconnaissance, symbolique ou bien strictement économique.

C’est dans la réalisation du nouveau statut d’auteur et des obligations qu’il implique que l’on situe la désillusion. Le milieu de l’édition littéraire est un milieu où l’on accepte ou non les règles du jeu, où l’on fait la course au best-seller ou bien de la littérature de création.
La semaine dernière se tenait donc la grand messe du milieu de l’édition : le Salon du Livre. Dans cette arène se retrouvent la plupart des différents « joueurs » du milieu de l’édition : les auteurs, les éditeurs, leurs distributeurs, sans oublier les médias. L’esprit de camaraderie qui y unit les différents auteurs est compréhensif si l’on sait l’humiliation que procure un stand sans lecteurs avides de dédicaces. Ce qui fascine dans cette foire commerciale, c’est qu’on y voit les ficelles du milieu.
Toutes les petites maisons d’éditions sont cachées sous la bannière de leurs distributeurs, qui, eux, mènent le bal en accord avec les maisons d’ordre plus commercial. Entre les grandes affiches où sourient les auteurs de Hachette et les deux étagères colorées du Quartanier, on discerne clairement une dichotomie, la même qui existe entre la littérature commerciale et la littérature « clandestine ». La désillusion de l’auteur lorsqu’il entre dans la carrière a quelque chose à voir là-dedans. La place qu’il occupe dans le champ littéraire n’est que le résultat d’un combat entre désirs et réalités.


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