Avec Le Prisonnier du ciel, Carlos Ruiz Zafón retourne à la Barcelone énigmatique imaginée dans deux de ses précédents romans, L’Ombre du vent (Grasset, 2004) et Le Jeu de l’ange (Robert Laffont, 2009). Le dernier opus du cycle du « Cimetière des Livres Oubliés » met en scène plusieurs des personnages des deux premiers volumes, bien qu’on y trouve aussi d’importants nouveaux venus.
Le « Cimetière des Livres Oubliés » est un endroit secret de Barcelone où des milliers de livres sont cachés pour leur protection. L’intrigue du Prisonnier du ciel se déroule dans les années 1940 et 1950 : Zafón place donc ses personnages sous le régime de Franco, à un moment où la littérature pouvait être un acte de rébellion. Bien que le Cimetière ne soit pas aussi présent dans ce roman que dans les deux autres, il reste néanmoins l’un des éléments les plus importants et lie les personnages des trois livres.
L’action principale du Prisonnier du ciel est une histoire à l’intérieur de l’histoire. Le personnage de Daniel Sempere raconte des événements qui se déroulent environ deux ans après ceux du premier volume de cette trilogie. Daniel travaille avec son père et son ami Fermín à la librairie Sempere & Fils. Même s’il n’est pas le narrateur, c’est pourtant Fermín qui se révèle être le véritable héros du roman, par son passé incroyable remontant en 1939 et raconté, par Daniel, en 1957. C’est donc au récit d’un récit qu’on a droit. Cependant, comme dans les autres romans de Zafón, la limite entre la réalité des personnages et les œuvres de fictions qu’ils lisent, ainsi qu’entre leur passé et leur présent, n’est jamais très claire.
Fermín raconte à Daniel son emprisonnement dans l’horrible prison de Montjuïc, où il rencontre David Martín, narrateur et personnage principal du Jeu de l’ange. Dans ce roman, on retrouve un Martín bien différent de celui qu’on connaissait, et Zafón cultive à merveille le mystère entourant le personnage en le rendant plus absent que présent dans le récit de Fermín. Ce dernier pourra s’évader et rencontrer Daniel grâce à Martín et au Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas.
L’antagoniste principal est Mauricio Valls, le directeur de la prison, qui est un nouveau personnage dans l’univers de Zafón. Valls est un personnage bien défini, détestable à souhait, et parfait représentant du système politique franquiste où les relations personnelles sont la clé du succès.
L’histoire de Fermín se passe plus de dix ans avant le présent du Prisonnier du ciel. Toutefois, son passé a des répercussions sur Daniel : celui-ci découvre en effet que sa propre histoire est intimement liée à Valls et Martín, même s’il ne les a jamais rencontrés.
Dans ce troisième roman, Zafón reste fidèle au style de L’Ombre du vent qui l’a rendu si célèbre. Le suspense digne des bons polars n’enlève rien aux personnages, sans lesquels Le Prisonnier du ciel ne serait qu’une histoire de plus à propos d’une évasion de prison. Cependant, les personnages ne sont pas aussi bien présentés que dans les deux précédents tomes. L’intrigue reste malgré tout bien ficelée et il est difficile de s’arrêter de lire, la fin de chaque chapitre apportant du nouveau à l’histoire. De plus, comme dans ses autres romans, Zafón multiplie les références littéraires, la plus évidente ici étant l’allusion au Comte de Monte-Cristo de Dumas, bien qu’il en fasse aussi d’intéressantes à des auteurs fictifs bien réels pour ses personnages. Ainsi, même si les trois tomes devraient pouvoir se lire dans n’importe quel ordre, il est sans doute mieux de découvrir la description si particulière de Barcelone à travers L’Ombre du vent, le premier tome, pour une aventure vraiment unique.