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Sexe et Conflits

Gérer le porno dans le couple

Le porno aujourd’hui

Les images sexuellement explicites ont en quelque sortes été normalisées voire glamourisées dans la culture populaire occidentale, supposant que la population y est familière. Il est par exemple tout à fait normal de voir une jeune femme recevant un jet de crème hydratante sur le visage pour une pub Clinique, rappelant plutôt explicitement la pratique du « facial », souvent composante des scripts sexuels des films pornos.  Tout ça est devenu normal, courant. En plus de se répandre dans nos vies quotidiennes, l’industrie du porno grandit très vite. Les profits estimés sont extrêmement élevés, avec des recettes aux États-Unis plus grandes que celles des dix plus grosses entreprises de haute technologie combinées, Apple, Microsoft et Google incluses. Avec le développement d’internet, l’accès au porno est de plus en plus facile, et une bonne partie des vidéos est gratuite. Le public étant de plus en plus vaste et habitué, l’industrie du porno réagit en produisant des images de plus en plus hard-core, violentes voire tordues.

On ne peut pas coller l’étiquette « porno » sur n’importe quelle mise en scène d’acte sexuel. Moi-même, je voyais ça de loin, se résumant à de simples scènes érotiques, consensuelles, et sans grand danger. Mais il ne faut pas oublier le porno violent, voyeur, incestueux, pédophile, raciste ou encore des choses aussi dérangeantes que les scènes où des filles se font violer par des tentacules ; et tout cela représente une sacrée portion des vidéos en ligne. Vous me direz, chacun son style.

Idéalisation de la réalité

Le débat est d’ailleurs très agité. Grosso modo, il y a les libéraux qui considèrent que du moment que le porno est consommé dans l’intimité des usagers pour leur plaisir personnel, ils devraient être libres de le faire. Puis, il y a les conservateurs-moralistes qui le voient comme systématiquement offensif et dérangeant pour les valeurs morales. Et enfin les féministes radicales selon lesquelles le porno est le reflet d’une société dominée par les hommes et qu’il joue un rôle crucial dans la perpétuation de cette domination. De ces trois idéaux, on voit naitre une polarisation. Elle a mené à de nombreuses manifestations, lobby et débats, sans jamais vraiment déstabiliser l’industrie qui prend des airs de toute-puissance.

Les chercheurs eux-mêmes ne s’entendent pas sur les réels effets de la pornographie. Perpétue-t-elle le mythe du viol ? Est-elle entièrement sans danger ? Dans quelle mesure la violence peut-elle être inoffensive ? Un des consensus est que l’usage de la pornographie violente par les hommes est susceptible de créer des attitudes négatives envers les femmes et de stimuler un comportement sexuel dominant (Bridges, 2003). Aussi, il existe un grand écart entre le portait que dresse le porno de la sexualité et la sexualité « en vrai ». En majorité, dans le paradis érotique du porno hétérosexuel, les hommes comme les femmes sont toujours prêts à avoir une relation sexuelle, en ont toujours envie, et le rapport sexuel implique forcément la pénétration et un orgasme immédiat (Kimmel, 2008). Une image bien évidemment très loin de la réalité. Cette idéalisation de la réalité dans les scripts sexuels a un impact important chez les usagers.

Pour être honnête, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la pornographie ou à ses effets avant ma première année d’université, lorsque mes amis décidèrent qu’il était temps pour celles qui n’en avaient jamais vu de tenter un film. Je suis sortie de l’expérience avec une nausée passagère et pas mal d’incompréhensions, face à la différence dans les réactions entre mes amis hommes et femmes. Mon opinion que le porno était une activité comme une autre qui ne me convenait simplement pas personnellement a ensuite changé après des recherches personnelles sur les dessous de l’industrie du porno. Il existe des pratiques  dérangeantes et problématiques éthiquement parlant : du porno carrément raciste ou des mutilations génitales filmées. Au-delà de l’impact au niveau individuel, la pornographie est aussi un composant à part entière des relations de couple.

Dans le couple

Peu de temps après, une dispute éclate dans un couple d’amis proche : il lui est arrivé de regarder des clips pornos, elle ne le savait pas et l’apprend par l’historique internet de son petit ami. Elle est mal à l’aise, elle se sent trahie ; lui trouve son activité tout à fait normale et ne comprend pas sa réaction.  Sébastien* confie son incompréhension : « elle disait des choses comme : pourquoi as-tu encore besoin de mater du porno ? Est-ce que je ne suis pas assez sexy ? Est-ce que c’est pas suffisant quand on couche ensemble ? Tu veux que je sois comme les filles dans tes vidéos c’est ça ?,  Bien sûr, rien de tout ça n’était vrai pour moi. Je me sentais vraiment mal à l’aise ». Au-delà de l’impact au niveau individuel, la pornographie est aussi un composant à part entière des relations de couple.

Les conflits posés par l’utilisation de la pornographie dans les couples ne sont pas rares. Il existe de nombreuses études sur le sujet, notamment sur le rôle de la pornographie dans les couples mariés, pour qui l’addiction au porno de l’un des membres est considérée comme un réel fléau. Bergner et Bridges ont en effet conduit une recherche sur le sujet et ont découvert que l’usage fréquent de la pornographie par l’un des partenaires affectait la qualité de la relation et la satisfaction sexuelle des deux partenaires. Elle causait également des baisses de confiance en soi chez le conjoint, hommes et femmes confondus, quant à leur propre physique et performances sexuelles et relationnelles.  Pas très étonnant, non ?

Les jeunes adultes

Cependant, très peu d‘études ont été faites sur les jeunes adultes en couple. Alors que cette tranche d’âge semble tout particulièrement intéressante pour une étude sur la pornographie. En effet, non seulement les jeunes adultes sont les plus gros consommateurs de pornographie, mais la période entre 18 et 25 ans est vue comme un moment d’exploration sexuelle et sentimentale, renforcée par la transition à l’université qui stimule l’évolution des attitudes et comportements sexuels. J’ai donc décidé de rencontrer quelque couples – chaque partenaire séparément –  pour connaitre leur expérience concernant la pornographie : , les raisons pour lesquelles ils y ont recours et comment ils abordent le sujet dans leur couple.

De ces discussions, je retiens plusieurs attitudes. Tout d’abord, lorsque l’usage de la  pornographie par un des partenaires cause un conflit, la raison principale est que les jeunes personnes attribuent des motivations différentes du visionnage que celles que leurs partenaires décrivent. En général, regarder du porno est surtout un moyen de soulager des envies dites « biologique » et surtout une habitude qu’ils gardent de leur préadolescence ; une sorte de routine «  brossage de dents- porno – dodo », comme l’a formulé Maxime*. Par-dessus tout, ils décrivent cette activité comme un acte complètement détaché de leur vie de couple et de la performance sexuelle de leurs partenaires. Du côté des non-consommateurs, il y a surtout de l’incompréhension : pourquoi leurs partenaires s’excitent-ils devant des conjoints physiquement complètement différentes d’eux–mêmes ? Est-ce qu’ils pensent à elles quand ils/elles font l’amour ? Ont-ils besoin de regarder des films X car ils/elles ne sont pas assez doué(e)s sous la couette ? Autrement dit, les partenaires non-consommateurs  du porno attribuent l’utilisation de porno de leur partenaire à une dysfonction dans le couple et la relie à leur propre valeur comme conjoint, alors que les consommateurs de porno le voient comme une simple habitude, en aucun cas substituable à du « vrai » sexe avec leur partenaire.

La communication

Dans les couples où les deux partenaires ont recours à de la pornographie, séparément ou avec leur partenaire, les conflits sont presque inexistants. Lidia* précise « ça rajoute du piment dans notre intimité… de temps en temps ! ». Rien de nouveau : si les deux partenaires apprécient cette pratique, moins de conflits apparaissent. Cependant, il y a très peu de différences entre les raisons des hommes de regarder du porno et la perception de ces raisons par les femmes. Lidia* rajoute «  je sais pourquoi il le fait, puisque je le fais aussi. Aucun de nous deux ne le prend comme une critique ». Ce qui reste important pour eux, c’est de séparer clairement « leur » sexualité et la sexualité de la pornographie. Ainsi, Margaux* confie que « on ne fera sûrement jamais la moitié de ce qu’on regarde ».

La pornographie est un sujet dont il est important de parler. En effet, plusieurs études ont démontré que la possibilité d’un conflit dans le couple est relative au degré de communication et d’ouverture entre les partenaires. Pour les couples dans lequel le sujet est resté tabou, le recours au porno crée un conflit très important tandis que pour les couples au courant de l’activité de l’un et l’autre, les tensions sont quasi inexistantes. En effet, plus un couple aborde le sujet de la pornographie de façon ouverte, plus la compréhension des motifs derrière cette activité s’améliore. Cela diminue donc les risques d’un écart entre la perception des deux partenaires, ce qui me semble être une cause majeure de conflit.

Les trois quarts des personnes interrogées ignoraient complètement les conséquences possibles, sur leurs partenaires, de leur consommation de pornographie. Clairement, la plupart n’avaient jamais pensé une seconde que leur activité pouvait affecter leur relation amoureuse. Donc le porno, bien qu’il soit si courant devrait peut être considéré comme une action à conséquence, spécialement lorsque la communication au sein du couple n’est pas au rendez-vous. Pour minimisez les conflits : Regardez, mais parlez !

* Les noms ont été changés par soucis de confidentialité


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