Si je vous demande d’imaginer ce que vous évoque « Montréal », il est probable que vous arriviez à des images mentales précises de Sainte-Catherine, des rues recouvertes de neige, de l’équipe du Canadien ou même de la fameuse poutine québécoise. Mais si je vous demande de vous figurer « le Montréal des années 1970 », la tâche sera certainement moins aisée. C’est justement parce qu’il n’est pas évident de connaître le Québec à travers le temps que le Conseil des Arts de Montréal en Tournée présente Déclic 70, un fascinant travail de rétrospective conçu par le festival d’art contemporain Art Souterrain. En utilisant exclusivement les photographies documentaires en noir et blanc de onze artistes québécois, l’exposition tente d’englober la décennie 1970–1980 de leur point de vue et de la manière la plus authentique possible.
Des images du quotidien sans ajout ni artifice, de Montréal dans son jour le plus banal, de la famille classique québécoise, des manifestations ouvrières ou de simples portraits de Montréalais, tels sont les moyens choisis pour mettre en scène les réalités de l’époque. Ainsi, tout un mur est consacré aux clichés de Norman Rajotte et de Jean Lauzon, avec des scènes comme des policiers à l’exercice de tir, des jeunes gens dans une voiture, ou encore des enfants le soir de Noël. L’humilité est ce qui caractérise cette série ; par le format des photos, assez réduit, mais également par le choix des images mêlant postures insolites, scènes amusantes et portraits de « monsieur tout-le-monde ». Ce type d’art a ceci de rafraichissant qu’il ne se prend pas au sérieux.
Car Déclic 70 n’est pas seulement un hommage au Québec des années 1970, c’est aussi un hommage à la photographie québécoise qui doit constamment lutter contre la prédominance de la peinture dans l’art tout au long du siècle précédent. La démarche est donc double : il s’agit de revenir sur l’âge d’or de la photographie documentaire tout en faisant découvrir l’époque à ceux qui n’ont pas eu la chance de la connaître. L’exposition met ainsi l’accent sur les revendications qui caractérisent la décennie. Les années 1970 sont en effet un tournant au Québec : la fin de la Révolution tranquille (État Providence, séparation de l’Église et de l’État et refonte de l’identité québécoise) permet à la province d’entamer un renouveau. C’est aussi une période mouvementée, marquée par des groupes contestataires ouvriers et des manifestations aux revendications diverses. Dans ce contexte, la photographie documentaire est vue comme un instrument à portée informative dans la mesure où elle met en scène le passage à la modernité mais aussi comme un moyen de s’engager à travers l’art. En immortalisant et véhiculant les scènes de manifestations et autres démonstrations du peuple, les artistes prennent part aux révoltes. Clara Gutsche et David Miller, par leur travail photographique dans Milton-Parc, ont par exemple permis de dénoncer la destruction du quartier ainsi que de sa communauté.
Déclic 70 a donc pour but de mettre en image des scènes du quotidien afin d’englober les grandes questions des années 1970 et de rendre hommage aux artistes québécois de cette décennie. L’exposition est une plaisante manière d’aborder une réflexion sur l’importance de la photographie documentaire et une rétrospective efficace sur l’essence du Québec de l’époque.