Parmi l’ensemble de l’oeuvre de l’artiste, l’exposition Thomas Demand Animations retient ses photographies et animations les plus récentes, projetées dans toutes les salles sur des murs vert sombres.
Des paysages, ou plutôt des aperçus de constructions humaines désertes, y flottent. Ces « représentations de représentations » (car il s’agit de photos de constructions en papier et en carton représentant le réel), d’un réalisme presque troublant, parcourent les murs et bougent parfois sous forme d’animation, accompagnées de sons et de voix, et dépeignent un monde d’une perfection hypocrite, comme si sur le point de s’effondrer comme un château de cartes, ou de s’envoler au moindre coup de vent. Et ce monde s’effondre, en effet : le désordre, bien que subtil, y est : on apprend bien vite que les escaliers roulants vides à Londres (Escalator, 2000), représentés à partir d’une perspective de caméra de surveillance, ont été un lieu de crime par une gang de rue, et que l’ambassade de la République du Niger à Rome (Embassy, 2007), d’apparence modeste et épurée, ne présente pas les conséquences monumentales du vol de papeterie, de sceaux et de timbres officiels de l’ambassade en janvier 2001.
Cette dernière oeuvre, explorée en détail sous plusieurs angles, est d’une beauté et d’une simplicité particulières : la fameuse ambassade, que Demand a eu la chance de visiter personnellement, est reproduite dans son intégrité. Les portes et les murs aux couleurs épurées, certaines entr’ouvertes vers des salles désertes, prétendent au réel sans s’y confondre. Une reconstruction d’un bureau de l’ambassade présente des feuilles et des carnets de notes éparpillés partout, un café froid, un paquet de cigarettes, un téléphone raccroché de travers. C’est peut-être aussi le monde sans les hommes, celui où la violence n’existe pas, ou du moins pas dans le moment où la photo est prise. Le désastre est à venir, ou est déjà venu. Il ne reste qu’à observer, d’un oeil froid et détaché, et à travers plusieurs lentilles, les restes du réel. Les couleurs vives des photographies de Demand se retrouvent aussi dans ses animations, projetées dans des salles spacieuses du DHC. Les milliers de photographies individuelles de l’artiste laissent place à une série d’actions, dont les protagonistes sont encore des objets inertes. Pacific Sun (2012), inspiré d’un vidéo du même nom sur YouTube, reproduit le désastre causé par l’assaut de vagues immenses sur un bateau de croisière, capté par une caméra de surveillance placée dans le restaurant.
En omettant les gens dans le vidéo, Demand recrée, toujours sous forme de papier et de carton, les dégâts que deviennent les chaises, les tables, et tout autres objets à bord catapultés d’un côté à l’autre des murs du bateau. Ce qui était au début une belle reconstruction d’un restaurant – que l’on aurait deviné être sur terre – devient la calamité des forces violentes de la nature, qui ne se manifeste pas mais que l’on devine. Le restaurant est représenté jusqu’à son moindre détail, des citrons placés derrière le bar jusqu’aux petites assiettes en morceaux, en passant par des bouts de chaises, de mouchoirs et de débris inclassables. Les bruits de cassages et des annonces brouillées accompagnent l’animation jusqu’à l’image de destruction finale.
Sur le mur adjoint, Camera présente les mouvements robotiques d’une caméra de surveillance, placée dans le coin d’une salle ensoleillée non identifiée. Une fois de plus, ce n’est pas la potentielle scène de crime que l’on regarde, mais bien la caméra elle-même, dont les mouvements planifiés inspirent pourtant une angoisse pesante. À ce mouvement lent et moribond s’ajoute les bruits de panique de la scène d’à côté, si bien que l’on ne peut que penser à la question de perspective : en créant des scènes en papier et en carton, en les prenant en photo et en les détruisant par la suite, Demand ne souhaite-t-il pas aussi garder un seul segment de sa pseudo-réalité, autour duquel des histoires, problématiques ou pas, découlent ?
L’animation Recorder est elle aussi mystérieuse ; elle dépicte les mouvements rotatoires d’une vieille machine à enregistrement, accompagnés par les sons – et les sons seuls – de la machine. Ce qui est enregistré est si bien omis que l’on n’y pense même pas. La machine tourne d’une grâce froide, se suffisant à elle-même, existant par elle-même.
L’exposition se termine, ou commence, avec Rain (2008), une séquence animée brisant l’ambiance des oeuvres précédentes – un plancher sombre de béton reçoit des milliers de gouttes d’eau représentées avec des emballages transparents de bonbons – de la pluie, selon le titre – tombant du ciel. La danse des gouttes d’eau est loin de la monotonie des sujets initiaux – l’eau éclabousse, éclate, s’écrase contre la surface solide, émet un son dont la familiarité rassure et s’étend à l’infini. Le monde de Rain est le même que le réel, bien qu’il soit une simple représentation, et on s’y retrouve enfin, à l’abri des caméras, des machines et des endroits clos.