Je ne suis pas un lecteur du Journal de Montréal. Leur goût du scandale laisse transparaître une vision peu alléchante du journalisme : favoriser la quantité du tirage à la qualité de l’information. Pourtant, quand j’ai aperçu notre principale, Heather Munroe-Blum, sur la couverture de leur numéro de vendredi, je n’ai pas pu résister à l’envie d’en prendre un. « Elle gagne trois fois plus que Jean Charest…» titrait le Journal, fidèle à son traditionnel sensationnalisme. L’article nous apprend que malgré la réduction des salaires de 3% consentie par tous les cadres de McGill, notre principale a vu sa paye augmenter de 14%. La hausse de ses « avantages » contrebalancerait largement la diminution de salaire.
Ainsi, Heather Munroe-Blum aurait empoché 587 000$ de McGill l’an dernier, dont 229 000$ en « avantages particuliers ». L’article laisse cependant une chance de s’expliquer au chef exécutif aux affaires publiques de McGill, Vaughan Dowie : ce dernier assure qu’il s’agit « d’un versement rétroactif mais non récurrent » simplement dû à un mauvais calcul de ces avantages les années précédentes. Le Journal avait donc encore faire une tempête dans un verre d’eau ; je l’ai reposé sur le présentoir.
Ce que Le Journal de Montréal ne savait pas, c’est qu’un courriel avait été envoyé le matin même à tous les mcgillois pour les inviter à lire le « Message sur la situation économique », écrit par la même Heather Munroe-Blum. Le communiqué commence par rappeler à quel point notre université maintient son prestige : prix Nobel, classement dans les magazines, venue de Dalai-Lama et de Bill Clinton… On nous en met plein la vue. Le message devient ensuite moins joyeux lorsqu’il rappelle le déficit d’exploitation de McGill. L’an dernier, ce déficit s’élevait à 11,5 millions de dollars et l’administration s’est donné pour objectif d’avoir un budget équilibré d’ici l’exercice 2010–2011.
Le message nous apprend ainsi que l’administration compte économiser entre autres « en réduisant de 15% les indemnités de déplacement et d’hébergement ». Or, ces indemnités constituent précisément l’essentiel des « avantages particuliers » dénoncés par Le Journal de Montréal. Pour sa part, Heather Munroe-Blum pourrait donc atteindre cet objectif sans effort, puisque ses indemnités ont été artificiellement gonflées l’an dernier. Étant donné la manie des journalistes de décortiquer ses fiches de payes, on peut espérer qu’elle jouera tout de même le jeu en exigeant la même rigueur d’elle-même que des autres employés.
Laissons maintenant les primes de Heather Munroe-Blum tranquilles et faisons une dernière remarque sur sa lettre. « Les droits de scolarité ne sont pas élevés au Québec, ce qui n’est pas sans poser un très sérieux problème » peut-on y lire. J’ose à peine imaginer la réaction qu’une telle déclaration causerait à l’UQAM. Et pourtant, cette université n’est pas la dernière à chercher des idées de financement ! Un tel propos pourrait facilement se déformer de bouche à oreille pour devenir « les droits de scolarité des Québécois sont un très sérieux problème » avant de tomber dans l’éternelle querelle linguistico-souverainiste. Cela dit, on ne pourrait blâmer personne de vouloir interpréter le communiqué de Munroe- Blum. Quand on parle d’«améliorer la prestation des programmes » pour annoncer la suppression de certains cours pour raison budgétaire, il ne faut pas être surpris si plus d’un essaie de lire entre les lignes.