La question sur la recherche militaire a encore une fois fait débat lors de la réunion du Sénat de l’Université mercredi dernier. Dans la nouvelle politique qu’elle a présenté à l’instance décisionnelle qui regroupe administrateurs, étudiants, professeurs et employés, l’administration souhaite voir la suppression de la réglementation existante sur la recherche militaire et l’insertion d’une clause sur l’anonymat de la source de financement.
La polémique
Lorsqu’à l’automne dernier, William Foster, vice-président exécutif adjoint aux politiques et aux procédures, a publié une nouvelle ébauche de la politique de réglementation de la recherche, Demilitarize McGill a vivement réagi. Ce groupe étudiant qui s’oppose à la présence militaire en milieu académique et qui prône un renforcement de l’encadrement éthique dans la recherche s’est d’emblée montré très réticent.
Dans cette ébauche, les articles mentionnant l’encadrement de la recherche militaire étaient supprimés et une clause garantissant l’anonymat de l’entité qui finance la recherche a été ajoutée. Pour le moment, les professeurs doivent remplir une déclaration avant d’entamer leur recherche. Ils doivent aussi spécifier si oui ou non leur recherche est reliée au domaine militaire et doivent en mesurer les éventuels effets bénéfiques ou néfastes.
« On a fait une demande d’accès [aux formulaires] auprès du secrétariat général de McGill, mais on nous a répondu que dans leurs archives, il n’y a aucune trace de ces documents […] depuis 2002 », a expliqué Alexandre Vidal, membre de Demilitarize McGill.
M. Vidal a qualifié cette attitude d’«atteinte à la démocratie. Il est très problématique que dans une institution publique comme McGill, on ne sache pas ce qui se passe, surtout quand ça inclut des recherches financées par l’armée, qui est une autre institution publique. » Il a également noté des « éléments gênant au niveau de l’encadrement éthique » dans l’ébauche de M. Foster.
Recherche et transparence
« La question est de savoir si la politique de transparence adoptée par McGill en 1988 a été constamment violée par l’administration », a lancé M. Vidal. Ce dernier a expliqué que toutes les suggestions proposées par Demilitarize McGill ont non seulement été écartées, mais que les sections de la politique qui concernaient ces suggestions ont aussi été retirées.
« Il doit y avoir beaucoup d’argent impliqué, c’est peut-être l’une des raisons, mais une des principales motivations pourrait bien être l’atteinte à la réputation de McGill [du moment où] on l’associerait, par exemple, au développement d’armes », a‑t-il poursuivi.
Des recherches militaires ont lieu à McGill depuis le début de la Guerre froide. En mars 1987, des étudiants de McGill avaient occupé les locaux du vice-président à la recherche en réaction aux études menées par les professeurs Roman Knystautas et John H. Lee sur les armes thermobariques pour le compte du Département de la défense nationale des États-Unis. Après six jours, la police était parvenue à déloger les étudiants. Suite à cet événement, l’administration avait décidé d’adopter une politique de réglementation sur la recherche en février 1988. Elle y avait notamment apporté deux dispositions, les sections 10 et 11, qui encadrent la recherche liée au domaine militaire.
Embrouille entre les Sénateurs
Lors de la rencontre du Sénat de mercredi dernier, plusieurs sénateurs ont questionné l’administration sur la nouvelle ébauche. Denis Thérien, vice-président à la recherche de l’Université McGill, s’est expliqué en indiquant que l’institution s’aligne « par rapport à ce que d’autres universités font au Canada », précisant que les questions posées aux chercheurs « portent à confusion parce qu’elles ne demandent pas si la recherche est financée par l’armée, mais plutôt si elle a des applications militaires ».
Pour Sarah Woolf, sénatrice de la Faculté des arts, il n’a pas suffi de prétexter un alignement avec le reste du G13, le groupe des universités canadiennes les plus performantes en matière de recherche, pour justifier la nouvelle ébauche. « McGill doit s’efforcer et s’efforce d’être un chef de file au sein du G13, a‑t-elle affirmé, mais supprimer ces clauses reviendrait à faire un pas en arrière qui ne démontrerait en aucun cas un sens du leadership. Cela porterait à croire que McGill essaie d’être [un pôle de recherche] aussi attractif que les autres membres du G13, au détriment de notre éthique. »
M. Thérien s’en est défendu en soutenant que c’est « une mauvaise équation de dire que la recherche financée par le domaine militaire est mauvaise et que le contraire est bon », ajoutant qu’«il n’y a pas de raison de [garder] une étape bureaucratique supplémentaire ».
La sénatrice Woolf a répliqué que c’est « justement parce qu’il n’y a pas de consensus sur la question de savoir si la recherche militaire est nuisible ou pas, [qu’il existe des] raisons pour garder cette démarche bureaucratique ».
Le président de l’Association des étudiantes et étudiants de 2e et 3e cycles, Daniel Simeone, a jugé qu’«il y a une part fondamentale de responsabilité de la part du chercheur de signaler la source de financement pour un projet ». Il a considéré que « si un donateur souhaite faire un don à titre anonyme, il pourrait le faire à travers la fondation McGill, qui à son tour redistribuerait ensuite le montant » au programme de recherche souhaité.
C’est la première fois que McGill tente de changer sa politique de réglementation de la recherche depuis 1991. Le Sénat se rencontrera à nouveau le 2 décembre prochain pour adopter le nouveau texte, avec ou sans modifications. À l’heure de mettre sous presse, M. Thérien était malheureusement indisponible pour répondre aux questions du Délit.