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Le déchétarisme

Depuis quelques années un nouveau courant est apparu : le déchétarisme, plus connu sous son nom anglais de « dumpster diving ». Le déchetarisme définit le fait de se nourrir d’aliments trouvés dans des poubelles de magasins de grande distribution ou de restauration.

Alors que « faire les poubelles » est plus souvent relié aux personnes de la rue, le déchétarisme peut être pratiqué par tous, comme un acte politique ou un choix économique.

L’utilité est certaine pour les étudiants et les « plongeurs » sont très flexibles. Certains le pratiquent tous les jours, comme Logan, chef à Lola Rosa qui indique se nourrir à 90% grâce à cette activité, qu’il pratique quotidiennement. En revanche, Fabien Marchal, étudiant de troisième année en sciences de l’environnement, nous explique que « c’est seulement quand beaucoup de gens viennent manger à la maison, pour une soirée entre amis. Ça réduit les frais ». Pour Joseph Boju, élève de deuxième année en littérature française, c’est l’occasion de trouver des produits qu’il ne consommerait pas d’habitude. Au delà de la gratuité de la nourriture, le déchetarisme permet aussi de participer activement à l’amélioration de la société.

Un engagement politique

La motivation politique peut être proche du mouvement anarchiste. Le système capitaliste, selon eux, entraine une société de surconsommation avec deux conséquences.

Premièrement, la surconsommation renforce les inégalités sociales. En effet, alors que les poubelles sont pleines de nourriture, des gens meurent de faim. Un des slogans du mouvement Déchetarisme est d’ailleurs : « La solution à la faim dans le monde se trouve dans les poubelles de New York ».

Deuxièmement, la surconsommation a des effets environnementaux souvent méconnus. L’ampleur du gaspillage reflète le fait que l’on considère aujourd’hui l’abondance alimentaire comme acquise. Un porte-parole du mouvement « Montréal dumpsting » rapporte que « ça [lui] parait naturel de plonger dans les poubelles. Notre pays produit bien trop de nourriture ». Clara Déry, élève de première année et plongeuse régulière rapporte que sa volonté vient « du consumérisme ». Elle ajoute : « L’objectif n’est pas de contrer la logique capitaliste, mais de se rendre compte que le système consumériste, on le voit vraiment qu’une fois qu’on a la tête dans les poubelles ! ».

Pas seulement pour l’estomac

Mais, cette activité n’est pas seulement reliée à l’alimentation. Ainsi la récupération de meubles à des fins utilitaires et de décoration est une pratique courante assez commune chez les étudiants. Une fois dans la rue, il n’y a plus de « propriété » sur l’objet qui se trouve sur la voie publique.

Des résidus industriels sont utilisés par certains artistes pour créer des sculptures entre autres. Enfin, il existe aussi un côté criminel au « dumpster diving » : le vol d’identité. En fouillant les poubelles on peut tomber sur des papiers officiels, des numéros et autres informations qui pourraient permettre à des plongeurs malintentionnés de voler l’identité d’un individu.

Infraction dans mes poubelles

Malgré ses nombreux avantages, la pratique du déchétarisme comporte certains risques. Tout d’abord, il est officiellement illégal, au Canada, de réutiliser les ordures d’autrui. Effectivement, en vertu de la loi sur l’entrée sans autorisation, datant de l’acte constitutionnel de 1867, le possesseur d’une propriété privée a le droit d’émettre un avis d’éviction pour quiconque se trouverait sur sa propriété sans sa permission.

Les déchets se trouvant, dans la majorité des cas, sur ces dites propriétés privées, il est donc possible que les plongeurs se retrouvent à faire face à des plaintes ou même d’éventuelles arrestations. Il est cependant à noter que dans la majorité des cas, les propriétaires de restaurants ou épiceries ne feront pas appel à cette loi, soit parce qu’ils supportent de telles initiatives, soit parce qu’ils n’ont pas d’avis précis sur la question, et qu’ils préfèrent l’ignorer. Certains plongeurs réguliers se font même mettre en garde par les propriétaires qui leur conseillent quoi prélever de leur poubelle.

La situation n’est cependant pas la même dans tous les pays. Effectivement, alors que certains pays comme l’Italie ont rendu cette pratique légale depuis plus de 10 ans, en Allemagne et en Belgique, des lois plus sévères l’encadrent, référant aux ordures en tant que propriétés privées, ce qui implique que le déchetarisme relève donc du vol.

L’application de ces lois a été poussée en 2009, allant même jusqu’à l’arrestation du militant écologiste belge Ollie, un plongeur, alors qu’il faisait sa collecte de nourriture derrière un supermarché à Bruges. En France, finalement, cette pratique est tout simplement impossible car les magasins de grande distribution enduisent leur déchets de substance toxique comme de l’eau de Javel ou de la mort aux rats. Il reste toujours la possibilité de se fournir dans les petites épiceries.

Attention indigestion

Bien qu’il y ait souvent des aliments propres à la consommation dans les bennes à ordures des restaurateurs et épiciers, il y a parfois de bonnes raisons expliquant leur présence dans les poubelles avant la date de péremption. Comme le rappelle Clara Déry : « Il ne faut pas oublier qu’il y a souvent une raison pour laquelle ces produits-là se retrouvent dans la poubelle ».

Rappelons-nous la crise qu’avait subit la compagnie Fontaine Santé en décembre 2011, durant laquelle la compagnie avait vu la majorité de ses produits faire l’objet d’un avis de non consommation et avait été retirée des tablettes car ils étaient contaminés par la bactérie Listéria. Les aliments contaminés par cette bactérie ne présentant pas d’altérations visibles ou d’odeur suspecte, il était donc dangereux que le plongeur imprudent le consomme et tombe gravement malade.

Il peut en être de même avec des aliments contaminés par les bactéries E. coli ou la salmonellose qui peuvent causer diarrhées, intoxication alimentaire et, si complications, la mort. Il est donc important pour le plongeur de se tenir au courant de l’actualité afin de se prémunir des cueillettes empoisonnées qui pourraient lui retirer toute envie d’écumer les poubelles à nouveau.

Diète incomplète

Bien que l’on puisse trouver de presque tout dans les poubelles, soit fruits, légumes, fromage yogourt pour ne citer qu’eux, certains aliments nécessaires à notre alimentation n’y seront pas toujours disponibles. Il est donc important que l’entièreté de notre diète alimentaire ne repose pas sur les produits recueillis lors d’une plongée. Si l’équilibre alimentaire n’est pas toujours au rendez-vous, la qualité des produits peut être surprenante, comme au Marché Jean-Talon, par exemple. Aussi, Joseph Boju partage t‑il au Délit qu’au marché Jean-Talon il est sûr de « trouver des aliments de qualité qui ne sont pas couverts de produits chimiques ».

Petit guide pour une plongée réussie

On a souvent l’impression qu’une cueillette doit se faire de nuit et dans le plus grand secret. De fait, sur la plupart des sites Internet fournissant mille et une astuces au plongeur débutant, on suggère de se munir d’une lampe de poche et de se déplacer en petits groupes. S’il est vrai qu’il est préférable de ne pas écumer les poubelles en grands groupes afin de ne pas effrayer les propriétaires des dites poubelles, il ne faut pas pour autant croire qu’il s’agit d’une pratique exclusivement nocturne et qui nécessite d’amples préparations.

Démystifions un peu la chose. Quoi qu’il soit imprudent de pratiquer le déchetarisme sans préparation ou expérience, il n’est pas plus brillant de se présenter sur les lieux armés de piolet, corde et autres instruments de spéléologie ordurielle qui auraient tôt fait d’attirer l’attention du voisinage, ceux-ci pouvant méprendre d’inoffensifs plongeurs pour de dangereux bandits armés.

Cette pratique n’est pas non plus exclusive aux militants environnementaux ou anarchistes échelonnés et équipés, et peut être pratiquée par tout un chacun. Il suffit de connaître quelques endroits et de se trouver un bon compagnon.

Du savoir-vivre

L’état dans lequel on laisse le milieu après notre venue est très important si on souhaite y revenir par la suite. Tel que raconté par Logan, « il faut être respectueux des lieux.

Je n’ai jamais eu d’altercation avec des propriétaires parce que je sais partir sans laisser de traces de mon passage derrière moi ».

Cependant, si des plongeurs viennent tard dans la soirée, font beaucoup de bruit et repartent en laissant tout sans dessus dessous, il y a de fortes chances qu’une mauvaise surprise les attende lors de leur visite suivante.

 À chaque quartier sa poubelle 

Dans chaque quartier, il est possible de trouver des endroits où les poubelles recèlent de nourriture. Ils peuvent sembler difficiles à cibler de prime abord, mais en s’armant d’un peu de patience et de bonne volonté, il est facile de développer un réseau qui permettra des cueillettes prolifiques et fréquentes.

Mais, afin de faciliter les premières plongées, voici une liste de poubelles facilement accessibles :

- Marché Jean-Talon

- Marché Atwater

- Le supermarché Les Quatres Frère au coin des rues Des Pins et Saint-Laurent

Les « vrais plongeurs » ne révèlent pas leurs poubelles préférées, car celles-ci seraient vides trop vite si tout le monde était au courant.

À vos marques, prêts, plongez !


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