« Des manifestations […] sont considérées calmes si n’est utilisé aucune force physique, menace, harcèlement […] et si leurs intensités, intentions, durabilités et locations [respectives] […] permettent de maintenir la sécurité dans l’université et pour tous les membres de sa communauté. »
Cette courte version du protocole « concernant les manifestations, protestations et occupations sur les campus de l’Université McGill » est la source de beaucoup de plaintes de la part des étudiants, qui considèrent que leur liberté d’expression est bafouée. Au sortir des élections de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) et des diverses facultés, tous semblent unis pour contrer un document qui a « ignoré la voix des étudiants », explique au Délit Claire Stewart-Kanigan, nouvelle représentante de la Faculté des arts au Sénat.
L’existence du protocole est une réponse à la crise étudiante de l’année dernière, durant laquelle, le 15 novembre 2011, des étudiants de l’Université McGill avaient pénétré dans le bâtiment de l’administration James. Décontenancé, le Service de Sécurité avait appelé le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), qui s’était alors chargé de faire appel à une brigade anti-émeute.
Qu’en est-il de l’Université de Québec à Montréal (UQAM), dont l’activisme de ses étudiants dans le Printemps érable avait retenti dans toute la province ? Comment son administration fait-elle aujourd’hui face à des étudiants qui exigent toujours la gratuité au niveau universitaire ?
Des caméras en trop
L’UQAM avait annoncé depuis 2008 (soit presque quatre ans avant le début des manifestations) l’installation de nouvelles caméras de sécurité à l’intérieur de ses locaux. Selon Samuel Ragot, secrétaire général et représentant étudiant au conseil d’administration de l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED-UQAM), « les caméras installées alors étaient discrètes et n’allaient pas à l’encontre de la vie privée des étudiants ». Avec la crise, il estime que « tout d’un coup, les caméras sont partout. Leur présence n’est plus proportionnelle à la possible menace ». Pire, à ses yeux, aucune politique n’est mise de l’avant par l’université pour réguler l’utilisation des données enregistrées. L’administration est donc libre d’utiliser ces dernières comme bon lui semble, afin « de favoriser une approche proactive, préventive, plutôt qu’une approche réactive », selon l’Énoncé de principes de la Politique 25 sur la prévention et la sécurité. Plusieurs associations étudiantes doutent du bien fondé d’une telle mesure.
McGill a, de son côté, un « protocole concernant les caméras en circuit fermé », où il est écrit que « les caméras ne seront pas utilisées afin de surveiller les actions des étudiants ou des employés sauf lorsque l’attitude d’un employé ou d’un étudiant semble criminelle ». Avec la confusion du protocole sur le droit de manifester, le terme « attitude […] criminelle » semble obsolète ; la définition d’un crime aux yeux des étudiants de l’Université McGill est aujourd’hui plus que floue.
Quant à la présence policière
Le Délit a publié le 12 février dernier qu’une arrestation avait eu lieu à l’UQAM par le SPVM (voir « Arrestation à l’UQAM », Volume 102, no 16). L’intervention avait été jugée illégitime par Samuel Ragot, qui clame que « la police ne doit jamais avoir le droit d’intervenir dans une université », sauf si sa présence est nécessaire et légale. C’est ce problème de « légalité » qui est contesté par beaucoup d’étudiants à propos de l’arrestation. Le Service de la prévention et de la sécurité (SPS) de l’UQAM aurait eu recours au Service de Police trop rapidement et sans l’accord d’un représentant du corps enseignant, expliquant ensuite que la forme d’un marteau aurait été remarquée par les caméras sous le polo de l’étudiant, ce qui s’est avéré faux. Pourquoi la présence si rapide d’une police qui ne pouvait qu’attiser la haine des étudiants ? Le SPS n’a pas souhaité répondre aux questions du Délit.
Qu’en est-il de la politique de McGill quant à une intervention policière ? Dans un courriel envoyé au Délit, Patrick Fiorelli, superviseur des systèmes de sécurité de l’Université, indique que la police est appelée lorsque « son assistance est nécessaire pour s’assurer de la sécurité de la communauté de McGill », ce qui renvoie automatiquement… au protocole concernant les manifestations. Il semble donc qu’un cercle vicieux se soit créé, où toute notion de « sécurité » et de « crime » ne repose que sur un document décrié, car allant contre les paragraphes 25 et 26 de la Charte des Droits des Étudiants, qui revendiquent le droit d’expression. De plus amples consultations sont vitales, et le bâtiment James se dit prêt à les organiser. À ce jour, une rencontre a eu lieu, où seule une dizaine d’étudiants s’étaient présentés (voir « Consultations sans représentation », Volume 102, no 17)
Une émancipation incontrôlée
Quant à l’UQAM, les caméras de sécurité et « la présence journalière des policiers », selon Ragot, indique un point mort dans les discussions avec l’administration. Cependant, AFESPED-UQAM a demandé, avec succès, de couvrir les caméras jugées illégitimes jusqu’au prochain conseil d’administration, qui prendra place ce mardi 26 mars. Il espère alors que des négociations seront entamées pour mettre fin à cette dépense « inutile » de 600 000 dollars.
Beaucoup voient la crise étudiante comme une période d’émancipation de la part des étudiants, qui ont pris conscience de leur pouvoir sur le gouvernement provincial, mais aussi sur leurs universités respectives. Cependant, il y a maintenant une réponse de force de la part de ces dernières, par un contrôle beaucoup plus poussé de leurs communautés. Au risque de tomber dans l’illégitimité.