Un drone, c’est une abeille mâle qui ne pique pas et qui ne fabrique pas de miel. Il a pour seule mission de féconder la reine avant d’en mourir. L’emploi de ce mot est cependant plus utilisé pour désigner ces engins militaires qui volent haut et loin, commandés au sol, afin d’espionner ou d’exécuter. C’est ce thème qui a été retenu pour le mois de la photo à Montréal. Du 5 septembre au 5 octobre, plusieurs artistes exposaient, à divers endroits de la ville, des photographies sur le sujet Drone : L’image automatisée.
L’exposition de Trevor Paglen reste, cependant, à la galerie SBC d’art contemporain jusqu’au 9 novembre. Mondialement reconnu pour ses travaux journalistiques et notamment pour son travail d’enquête sur les activités clandestines de l’armée américaine, il présente à la galerie sept œuvres, une vidéo et six photographies qui analysent l’esthétique du drone. On y voit principalement trois ciels aux couleurs remarquables dans lesquels sont dissimulées très discrètement ces machines de guerre. On peut également admirer trois drones à terre dont les fameux modèles Predator et Reaper. Enfin, la visite se clôt par le visionnage d’un bref enregistrement d’écran de commande.
Le public est partagé, les avis divergent. Certains s’enthousiasment (« Fantastique, ça me rappelle la guerre froide… Mais en pire ») quand d’autres crient à l’imposture (« On se fout de notre gueule, encore une fois »). Cette exposition ne fait pas l’unanimité et pour cause, elle soulève la réelle question de ce qui est artistique et ce qui ne l’est pas.
En explorant le concept de l’image automatisée, le programme du mois de la photographie place l’artiste dans une position ambigüe. Celui-ci se retire presque entièrement du procédé de réalisation de l’œuvre, pour laisser l’appareil, seul, produire sa propre photographie. Peut-être aurait-il fallu prêter plus d’attention aux propos de Baudelaire lorsqu’il écrivait que « l’industrie, faisant irruption dans l’art, en [devenait] la plus mortelle ennemie ». Laisser l’objet prendre en main le procédé de création, c’est effectivement signer la mise à mort de l’artiste.
C’est cependant l’homme derrière l’œuvre qui est la condition nécessaire de l’art. C’est l’interprétation de la réalité qu’il offre qui permet de réveiller une émotion chez le spectateur. En l’absence de marque personnelle et d’humanité, sous-jacentes à la photographie, le spectateur n’accède à aucune dimension immatérielle.
Des machines qui photographient d’autres machines est un concept qui tue le rêve, la réflexion et le rapport entre l’auteur et le spectateur, pourtant cruciaux. Au fil de l’exposition, le public se promène, observe et constate. Point. Il n’est touché ni par une idée, ni par un message, ni par une sensation. L’exposition de Trevor Paglen est en ce sens similaire à l’abeille mâle, elle ne pique pas, ne produit pas de miel.