C’est en un univers transcendant que se transforme la Cinquième salle de la Place des Arts pour la pièce Weather de Lucy Guerin. Décor minimaliste, costumes minimalistes, musique minimaliste, cela serait un spectacle bien épuré sans compter la puissance qui se dégage des danseurs. Plutôt que de nous impressionner par un enchaînement de piqués, jetés, fouettés, ils nous en mettent plein la vue par le contrôle qu’ils exercent sur leur corps et la cohésion dont ils font preuve. Si on peut penser à première vue que dix minutes de pas de jazz seraient trop longues, les danseurs ne tardent pas à nous démontrer le contraire. La pièce prend racine dans la simplicité du mouvement pur.
Articulée autour des changements climatiques, Guerin se garde bien d’en faire directement le procès, quoique les mouvements des danseurs se veulent une démonstration explicite de l’influence qu’a l’Homme sur son environnement et vice-versa. Les milliers de sacs de plastique utilisés à titre de décor en sont aussi un rappel subtil. Effectivement, choisis pour leur réponse esthétique aux jeux de lumière et aux mouvements de l’air, ils n’en sont pas moins « un symbole fort du dégât environnemental », mentionne Lucy Guerin au Devoir. De fait, leur utilisation en tant qu’accessoire lors d’un duo se rapprochant du théâtre de marionnettes, dans lequel un sac est utilisé pour contrôler, voire asphyxier l’un des danseurs, rend encore plus frappante l’ampleur de notre impact sur l’environnement.
La chorégraphe tire son inspiration du mouvement du Judson Church qui, en coupant avec les styles traditionnels tels que le contemporain et le ballet, a développé le contact improvisation. Bien que moins perceptible que dans ses pièces précédentes qui mélangeaient visiblement théâtre, danse et jeux, cette influence se transpose dans la partie transitoire de son spectacle qui incorpore une beaucoup plus grande part d’acting. On retrouve aussi dans son travail une redéfinition des « préoccupations formelles de la danse » qui s’incarne autant par l’intégration de la voix de ses danseurs que par l’utilisation de matériaux inusités.
Fascinée par la faculté du climat à déjouer notre logique et à nous emporter par sa puissance, Lucy Guerin s’en est inspirée pour chorégraphier sa pièce. « Le climat s’exprime tout naturellement par la danse et le mouvement », explique-t-elle dans sa note chorégraphique. De fait, le corps des danseurs s’essouffle et reproduit la danse du vent aussi bien que la course des saisons. L’imprévisibilité des mouvements surprend les spectateurs. Leur synchronisation quasi-mécanique frappe lorsque s’y juxtapose un laisser-aller des mouvements, laissant une impression de confusion qui pourrait très bien représenter celle de la nature. Cette impression est renforcée par l’ambiance sonore créée par Oren Ambarchi. « Je voulais faire vivre au public une expérience qui l’aiderait à mieux se plonger dans la chorégraphie », explique-t-elle à La Presse. Mission accomplie. Lorsque les applaudissements éclatent, on entend encore le rythme envoûtant de la musique et l’unisson parfait des six corps qui se sont lentement éteints alors que la noirceur gagnait la scène.