La salle Pollack de McGill était remplie ce mardi 5 novembre : Al Gore, ancien vice-président américain et co-lauréat du prix Nobel de la Paix en 2007, donnait une conférence sur les nouvelles technologies et ses enjeux dans la démocratie. Collaborateur important au documentaire oscarisé Une vérité qui dérange, Al Gore est venu rendre compte de la fragilisation, du renforcement, des possibilités et des mutations qu’opèrent les nouvelles technologies à l’échelle mondiale.
« Le changement en nature et en multiplicité des avancées techniques aujourd’hui bouleverse les perspectives de la démocratie et de la gouvernance », assure-t-il. Les grandes firmes multinationales participent à une économie mondiale, qui mêle les niveaux de pouvoir. Certaines de ces grandes compagnies disposent de capitaux qui excèdent les budgets des États eux-mêmes. Aussi, des flux d’argent considérables permettent la sous-traitance des ressources dans des pays qui ne sont plus maîtres de leur propre économie. Tel est le constat qu’Al Gore livre, entre deux anecdotes du temps de sa jeunesse.
Il s’agit alors de distinguer les différentes opportunités que cette technologie nous offre. Elle facilite l’accès à la connaissance, note Al Gore, mais de différentes manières qui ont toutes leurs propres vices. La télévision, par exemple, installe une relation unilatérale entre information et audience. Le spectateur reçoit, seulement, et n’est en mesure ni de débattre ni d’analyser, puisque la télé joue sur l’immédiateté. C’est grâce à Internet qu’Al Gore voit l’humanité se projeter vers une plus grande démocratisation. Demeure un problème de tri, nous dit-il, mais qui, bien orchestré, ne devrait pas en rester un.
Internet, pour sa part, est un média « participatif » et « collaboratif ». Al Gore associe l’invention de ce nouveau média à celui de la presse écrite : c’est un moyen de redonner du pouvoir, tant politique que de réflexion, aux populations oppressées, quelles qu’elles soient. Il faut une réorganisation et une redistribution d’Internet, pour que chacun y ait accès. « Parce que lorsque nous raisonnons ensemble nous prenons de meilleures décisions », dit Al Gore.
Redéfinir le progrès
La « pensée mondiale » devrait avant tout redéfinir la notion de progrès conçue par la société. Al Gore explique que le progrès est trop vite associé au rendement, laissant de côté le bien-être humain et la santé de la planète. La pollution, la déforestation et l’amas de déchets sont autant de conséquences directes de l’obsession du profit financier. Alors que les individus sont conscients de la nécessité de changer leurs habitudes de vie, ils trouvent encore difficile de les modifier.
Simon Kuznets lui-même, contributeur à la création de l’indicateur du produit intérieur brut (PIB), prévenait en son temps les dangers d’utiliser son invention comme un guide politico-économique. Précisément parce qu’il laisse de côté les coûts sociaux et l’impact environnemental dans les pratiques humaines. « Le fait que vous anéantissez progressivement votre futur n’est pas mentionné dans votre fiche de comptes », dit Al Gore. La dénonciation du système capitaliste ne s’arrête pas aux dommages sur la planète. La vie personnelle de chacun des habitants est, elle aussi, affectée.
À l’abord du sujet de la surveillance technologique, Al-Gore parle d’une « politique de harcèlement ». Non seulement la technologie corrompt la notion de vie privée des individus qui l’utilisent, mais elle brouille aussi sa propre efficacité. La surveillance téléphonique contre le terrorisme ou la fraude, c’est un jeu dans lequel le gouvernement « cherche une aiguille dans une botte de foin ». Étendre son rayon à l’échelle mondiale, c’est « empiler le foin pour chercher à enterrer l’aiguille, quand, parfois, elle est juste sous nos yeux », dit le conférencier.
Pourtant, le système capitaliste n’est pas remis en question lors de la présentation. L’ancien vice-président des États-Unis continue à défendre l’économie de marché parce qu’elle constitue « le moins pire des systèmes », et cela malgré ses crises économiques, ses inégalités, et ses perturbations. « Le pouvoir corrompt, oui », mais c’est tout de même le capitalisme qui demeure « la structure la plus adéquate avec la liberté individuelle », dit-il.
Al Gore nous parle d’«espoir » et d’un moment pour choisir de s’engager, pour faire de notre planète « ce qu’elle devrait être », et ce par un engagement individuel et politique.