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Quand le pouvoir fait jouir

René Richard Cyr monte Le Balcon de Jean Genet au TNM.

Gracieuseté du TNM

On parle souvent du pouvoir du sexe, mais qu’en est-il du sexe du pouvoir ? Les deux entités se retrouvent intimement liées dans la pièce provocante et insolente de Jean Genet mise en scène par René Richard Cyr au Théâtre du Nouveau Monde.

Dans Le Balcon, trois hommes qui veulent fuir la banalité de leur existence viennent revêtir leurs costumes d’évêque, de juge ou de général dans la « maison d’illusion » de Madame Irma, où règne le culte de l’image et des faux-semblants. Les habitués sont en recherche perpétuelle de cette aura érotique que procure le pouvoir. Mais à l’extérieur de cet écrin d’apparences, la révolution gronde, et les occupants de la maison close seront contraints à remplacer les figures d’autorité pour prouver que le pouvoir existe encore. Quelqu’un qui n’a jamais vu Le Balcon mais qui en connaît l’argument peut s’attendre à une pièce dont il est surtout question de sexe, l’action principale se déroulant dans un bordel. Pourtant, la jouissance recherchée par les clients ne réside pas dans l’acte sexuel. « Ces gens n’ont de sexualité que s’ils accèdent, même momentanément, à quelque chose qu’ils rêvent de devenir, à un jeu de rôle qui leur permet d’asservir ou de se soumettre », explique Marie-Thérèse Fortin, qui incarne Madame Irma, dans une entrevue accordée au Devoir.

La mise en abîme est exposée dès le début de la pièce qui commence par le salut des acteurs, déjà dans leurs personnages respectifs. D’emblée, le quatrième mur est brisé, et le choix scénographique de laisser les rouages et les éclairages visibles contribue à cette immersion totale dans la « maison d’illusion » de Madame Irma. Et si nous aussi, spectateurs, étions acteurs ?

Avec la révolution grondant à l’extérieur, les « grands enfants » que sont les clients sont dans l’impossibilité de sortir de la maison close, condamnés à jouer encore et encore leur petite scène favorite. Ce confinement est représenté avec justesse par ces petites salles montées sur roulettes où ont lieu tour à tour chacunes des scénettes des clients. Le spectateur se voit introduit dans l’intimité de la chambre close, avec un sentiment malsain de voyeurisme.

Quant au choix des costumes, René Richard Cyr n’a pas fait dans la demi-mesure. Pour représenter sur scène le côté exagéré et démonstratif du texte de Genet, le metteur en scène a sauté à pieds joints dans le baroque, miroirs et costumes majestueux compris. « On est dans toutes les époques », précise-t-il dans une entrevue avec La Presse. « On va dans les archétypes : le juge britannique avec des boudins, le chef de la police américaine, Madame Irma en tenancière de bordel parisien. Pour montrer que c’est partout ». Les costumes sont assez hétéroclites, tout en gardant une certaine unité. De l’évêque au costume orné de dorures, aux révolutionnaires à la chemise à carreaux plus « destroy », en passant par la robe de la reine dans l’esprit « Reine de Cœur », René Richard Cyr n’y va pas de main morte pour traduire en images l’aspect multiple du texte de Genet, qui peut se lire sous bien des angles.

Le jeu de Marie-Thérèse Fortin (Madame Irma), qui était peu affirmé au début de la pièce, prend son envol à partir de sa scène avec Macha Limonchik et continue sur une note juste pour le reste de la pièce. Macha Limonchik est très convaincante dans le rôle de Carmen, et les trois clients habituels (Bernard Fortin, Roger La Rue et Denis Roy) incarnent parfaitement les hommes désirant le pouvoir mais n’assumant pas les responsabilités qui s’y rattachent.

Comme à chaque fois qu’une pièce inclut une quelconque révolution contre le pouvoir en place, les metteurs en scène n’hésitent jamais à faire un petit clin d’œil à notre Printemps érable. Le fait d’habiller les révolutionnaires avec des chemises à carreaux rappelant nos hipsters fait résonner le texte de 1956 dans notre société. Toutefois, j’ai eu une nette impression de déjà-vu lorsque les révolutionnaires sont arrivés sur scène avec les masques d’Anonymous lors de l’apparition de la reine sur le balcon royal.

Avec Le Balcon, Genet a « prophétisé » cette société du spectacle dans laquelle nous vivons, où l’image prédomine, avec ces trois clients qui prennent goût à leur costume dont ils fuyaient quelques heures avant les responsabilités.

Bien que Genet n’ait pas voulu verser dans l’émotion pour Le Balcon, il est difficile pour le spectateur de s’identifier aux personnages. Sans doute que René Richard Cyr a voulu souligner ainsi l’impersonnalité de notre monde où l’image fait de ses utilisateurs des pantins sans âme.


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