L’auteure est co-directrice d’OpenMedia McGill
Le 13 novembre dernier, alors que nous ignorions toujours les politiques exactes de l’accord du Partenariat Trans-Pacifique (TPP), nul autre que WikiLeaks publiait le texte secrètement négocié pour l’ensemble du projet. Le rapport publié comprend les positions des négociations et des désaccords entre les présidents de 12 pays : l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, le Japon, les États-Unis et le Vietnam.
Un pacte aliénant
Le TPP est le précurseur d’un pacte, tout aussi secrètement gardé, le TTIP (Transatlantic Trade et Investment Partnership, soit Partenariat d’Investissement et de Commerce Transatlantique), pour lequel le président américain Barack Obama a entamé des négociations en janvier 2013. Ensemble, le TPP et TTIP auront un impact sur plus de 60% du produit intérieur brut (PIB) mondial.
Nous savions, par le biais d’une ébauche publiée en février dernier, que le TPP s’avérait bien plus qu’un simple accord de libre-échange, car il pourrait notamment « empêcher la population d’accéder à des médicaments sûrs et abordables, affaiblir les règlements qui régissent le contenu dans les médias, freiner l’innovation dans le domaine de la haute technologie, voire limiter la capacité des gouvernements futurs à légiférer pour le bien de la santé publique et de l’environnement » (d’après une déclaration du Parti Vert du Canada sur leur site internet.)
Bien que ces politiques de libre-échange soient, et aient toujours été, des sujets délicats, cette fois-ci un nouvel enjeu est mis sur la table : la censure d’Internet. En effet, ces dernières régulations pourraient non seulement jouer sur le coût de l’Internet, mais également le légiférer. Si certains croyaient encore que l’espace de l’Internet nous appartenait, bon nombre seront déçus.
D’abord, les négociations touchent de près la question de propriété intellectuelle. Celles-ci pourraient accorder moins de droits aux utilisateurs et criminaliser le contournement de serrures numériques. Concrètement, le téléchargement de musique pourrait être considéré comme un crime, un amendement inspiré du modèle judiciaire américain. Ainsi, il serait désormais justifiable en vertu de la loi de juger votre ordinateur comme un dispositif qui facilite cette infraction.
De plus, les parties intéressées du TPP parlent d’institutionnaliser des mesures permettant d’avoir le pouvoir de déconnecter des utilisateurs suspectés d’infractions. En un mot, si vous énervez les gouvernements avec vos téléchargements, vos partages de données numériques, voire vos « blabla » et vos blogs, vous prenez le risque d’être privé d’accès à Internet ! Et inévitablement, par cette législation, on sous-entend le droit d’inspection et de surveillance en ligne.
La démocratie en danger
Ce n’est pas une surprise, le gouvernement américain demeure le leader de la meute au cours de ces négociations. Et, paradoxalement, tandis qu’on clame la transparence gouvernementale, il faut se battre pour avoir accès à un simple brouillon de l’accord. Une seule exception à la règle : un groupe de quelques 600 conseillers commerciaux qui ont pu avoir accès à ces négociations privées.
Quoi que l’on pense du libre-échange, le secret des négociations du partenariat représente un énorme assaut sur les principes et la pratique de la gouvernance démocratique. Le problème réside dans l’ignorance flagrante de la population face à un sujet d’une aussi grande envergure, et qui, forcément, changera le cours des choses. Si l’Internet nous paraît tellement accessible, trop de gens ignorent encore que non seulement il se capitalise à une vitesse effarante, mais qu’il est à la veille de se politiser radicalement.
Et donc, on revient aux principes de bases qui sont le fondement de notre histoire : dès que l’on commence à poser certains points de contrôle, ces points de contrôle sont sujets à être corrompus et exploités. Aussi intangible que nous parait l’espace de l’Internet : il y passera aussi.