Une cinquantaine de personnes ont assisté, le lundi 13 janvier, à la conférence proposée par l’Association des sceptiques du Québec au Centre Saint-Pierre. L’invité de cette soirée était Fernand Turcotte, professeur au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. Il observe une impressionnante augmentation de patients diagnostiqués de diverses maladies graves au cours du dernier quart du20esiècle, or cette hausse de diagnostics ne correspond pas au taux de décès associé à ces maladies.
L’explication réside dans le « surdiagnostic », c’est-à-dire le diagnostic donné à une personne qui n’en a pas besoin. On en distingue deux types : la détection d’une maladie qui n’aurait jamais été détectée et qui n’aurait pas affecté l’état de santé du patient, comme certains cancers bénins ; ou bien le faux positif, jugement médical déduisant à tort l’existence d’une maladie. En plus d’être inutiles, ces diagnostics appellent les gens à utiliser beaucoup plus de traitements lourds et à consommer des médicaments aux effets secondaires indésirables, voire nuisibles. On citera les diarrhées chroniques dans le cas du traitement du cancer du colon, par exemple.
Selon le professeur Turcotte, les médecins sont irrésistiblement amenés à dispenser un traitement plutôt qu’à ne rien faire en cas de doute, malgré les risques d’une telle décision. En effet, il explique que notre culture occidentale pousse à la médicalisation systématique de toute souffrance, malgré le manque de connaissance concernant de nombreuses maladies. De plus, les médecins sont soumis à la pression du gouvernement, comme ça a été le cas lors de la pandémie de grippe H1N1, et des lobbys pharmaceutiques qui ont un grand intérêt à vendre un maximum de médicaments et de vaccins. Enfin, le système judiciaire actuel est conçu de telle sorte que les médecins ont tendance à « surdiagnostiquer » leurs patients pour éviter les poursuites. « Il arrive que des médecins soient poursuivis pour n’avoir pas prescrit un test, par exemple, même quand [celui-ci] est inutile, mais il est rarissime que l’on poursuive un médecin qui a prescrit un test inutile », remarque le professeur Turcotte. Il explique que, s’il fait partie des rares individus à se lever contre ce phénomène, c’est parce que les médecins manquent d’informations fiables, puisque la plupart des sources sont « corrompues ». Les données de recherche sont souvent inaccessibles, constate-t-il.
Lors d’une entrevue avec Le Délit, le conférencier approfondit sa critique en parlant d’une corruption qui atteint selon lui des sommets. « Il y a de plus en plus d’articles de recherche qui sont rédigés par les départements de marketing des [industries] pharmaceutiques. On met comme auteurs des vedettes de la profession, […] ceux qu’on appellent les ‘’leaders d’opinions”. C’est scandaleux ! Par exemple, récemment, l’étude Jupiter, qui visait à refaire une virginité aux statines [médicaments utilisés pour baisser la cholestérolémie, ndlr], a eu recours à des vedettes canadiennes, dont des stars montréalaises de [l’Université McGill]. Mais aujourd’hui, on sait que ces gens-là n’ont rien fait d’autre que des prêts de noms. Auraient-ils été payés pour faire ça ? On a dans nos rangs des mercenaires ».
Une position controversée
Pierre-Paul Tellier, directeur du Service de santé pour les étudiants de McGill, avance au contraire qu’il existe une grande quantité de sources d’informations fiables, même si certains sites Web sont douteux. Il concède toutefois que « le secteur de la santé étant très dynamique et changeant, il est difficile pour un médecin d’être au courant de toutes les nouvelles mises à jour ».
Pour le docteur Christian V. Zalai, professeur à la Faculté de médecine de McGill, le danger est surtout dû au fait qu’une loi oblige les médecins à faire passer des tests et des dépistages aux patients avant de poser un diagnostic. Puisque ces tests doivent être effectués de toute façon, certains médecins ont tendance à se fier avant tout aux résultats et à ne pas prêter suffisament d’attention aux symptômes décrits. Les médecins peuvent ainsi manquer de discernement face au cas auquel ils ont affaire et diagnostiquer à tort un problème qui n’aurait pas eu besoin d’être réglé par des médicaments. « Parfois, les médecins ne veulent pas consacrer beaucoup de temps et d’efforts à écouter leurs patients », explique le docteur Zalai. Selon lui, le cœur du problème réside plus dans la législation que dans la pression des lobbys pharmaceutiques, ce qui expliquerait pourquoi « au Québec, par exemple, le surdiagnostic n’est pas aussi répandu qu’aux États-Unis ».