C’était il y a douze ans. Gilles Pelletier mettait en scène le drame en prose du père Hugo dans le théâtre Denise-Pelletier, théâtre qu’il avait lui-même fondé en 1964 avec Françoise Graton et Georges Groulx. Depuis le 15 janvier 2014, c’est une autre Marie Tudor qui prend le relai, dans une habile mise en scène de Claude Poissant.
Pourquoi remettre du théâtre de répertoire en scène ? Simplement parce que cela vaut mieux que de ne pas le mettre en scène du tout ! Reprenant le mot d’Italo Calvino : « un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ». Nous ne prendrons pas trop de risque en disant que Victor Hugo n’aura jamais fini, lui non plus, de dire ce qu’il a à dire.
Londres, 1553. La reine d’Angleterre, Marie Tudor (Julie Le Breton) est une femme crainte et respectée. Comme amante cependant, elle est quelque peu malmenée par un godelureau répondant au nom de Fabiani (Jean-Philippe Perras). Ce dernier, objet de toutes les jalousies car favori de la souveraine, est victime d’un complot dans lequel la reine se trouvera impliquée. Ce complot c’est la pièce, l’amour d’une femme en est la clé.
Malgré une scène d’ouverture tâtonnante et statique, le drame se met en place à la fin de la première journée pour finalement nous tenir en haleine jusqu’au dernier coup de cloche. L’intrigue, plutôt alambiquée, se déplie avec aisance sous la musique de Philippe Brault, assurant aussi bien les transitions que le soutien mélodique de scènes entières. Les onze comédiens se voient alors obligés de nous révéler leurs talents de musiciens et de chanteurs, notamment lors d’une majestueuse scène de cortège funèbre où un chœur d’hommes entonne une sorte de chant grégorien à faire pâlir d’effroi n’importe quelle assemblée.
Marie Tudor est admirable de cruauté. Ingénieuse, elle a presque toujours un coup d’avance et cette malice là, Julie Le Breton la fait ressortir avec élégance et dynamisme. Fabiani est quant à lui vil et insidieux, agréablement détestable, notamment face au génial Simon Lacroix, dans le rôle de l’homme juif. Tout cela se déroule dans un inquiétant clair-obscur où l’éclairage tantôt frontal, tantôt latéral rend compte ‑à la manière des personnages et de leurs caractères- de l’intrigue sous bien des angles.
Après la musique et les lumières, on ne sait lesquels complimenter le mieux, des costumes ou des décors, car les deux agrégats servent si bien le propos qu’on est dans cette Angleterre comme dans un rêve d’enfance, la tendresse en moins. Les deux étages de jeux sont très efficaces : le premier avec ses arcades offre la cachette si nécessaire au complot, tandis que le second, un couloir surplombant l’arrière-scène, permet les solennelles scènes de procession et d’annonces au peuple. Les costumes pour leur part, sont modernes mais non moins réussis. On admire les pantalons et la cape du sinistre Simon Renard (David Savard) même si on s’étonne un peu devant la seconde robe de la reine et son bas pailleté.
Gilbert, l’homme du peuple ‑l’humanité en marche- est assez bien rendu par David Boutin. Son amoureuse au titre déchu, Jane, est quant à elle, intéressante, car d’un début hésitant elle va faire un spectacle épouvantable et charmant, qui aurait de quoi rendre la reine jalouse, si celle-ci n’était déjà la reine.
La femme de pouvoir est immense, car elle est confrontée à ses faiblesses amoureuses. La pertinence d’une telle vision est aujourd’hui problématique, mais un problème est une bonne chose dit-on. Nous connaissons tous les mœurs honteuses des présidents français, qu’en est-il des Marois, des Merkel et des Bachelet ? La salle ne s’esclaffe plus aussi insolemment lorsque Simon Renard ressort le mot de François Ier : « Souvent femme varie/Bien fol est qui s’y fie ». Cela dit, sur l’ensemble de la pièce, le rire du spectateur ne tombe pas toujours au « meilleur moment », mais peu importe au fond, le rire du 21e siècle vaut bien celui d’un autre.