Depuis le 12 février 2014, la journée de la jeunesse dans le pays, le Venezuela a été secoué par des vagues de contestations, violemment réprimées par le gouvernement de Nicolás Maduro.
Les étudiants ont débuté ces révoltes dans les principales villes du pays afin de réclamer plus de libertés, plus de sécurité (le Venezuela ayant enregistré plus de 16000 meurtres en 2012, selon le ministre de l’Intérieur Néstor Reverol), et un accès plus facile aux produits de premières nécessités ; des conditions de vie décentes, somme toute.
Tout d’abord, c’est plutôt au travers des réseaux sociaux que l’opinion internationale a été mobilisée : ainsi la vidéo « What’s going on in Venezuela in a nutshell » (« Ce qu’il se passe au Venezuela en bref ») a été vue près de trois millions de fois et partagée sur les réseaux sociaux en masse. Dans ce court reportage, l’étudiante vénézuélienne en Floride qui l’a réalisé fait un exposé des faits appuyé par un appel à une mobilisation internationale.
Cette vidéo a été diffusée dans la continuité de l’éveil des consciences débuté notamment sur twitter. En effet d’après le site topsy.com, les termes « Venezuela protests » ou « Caracas protests » ont été mentionnés dans 109851 tweets entre le 8 février et le 10 mars. À titre de comparaison, les termes « Ukraine protests » ou « Kiev protests » n’avaient été mentionnés qu’à 62173 reprises sur la même période, explique le Washington Post (article du 24 février : « Amid the coverage of Ukraine, is a crisis in Venezuela being ignored ?» – Au milieu de la couverture de l’Ukraine se cache-t-il une crise au Vénézuela ? ndlr). Mais le terme « maidan », du nom de la place centrale de Kiev, a été mentionné à 127745 reprises lors des trente derniers jours. Ainsi le Venezuela est bien présent sur les réseaux sociaux, bien que moins que l’Ukraine.
L’asymétrie entre la version officielle des faits et ce qui est dit sur les réseaux sociaux est d’abord locale : au Venezuela les grandes chaînes et les journaux sont contrôlés par le gouvernement pour la plupart. Par exemple Nicolás Maduro a repris la pratique du « cadenas » instaurée par Hugo Chavez, qui consiste en de longs monologues présidentiels imposés à la télévision publique. Et justement, lors du dernier, le président de la république bolivarienne du Venezuela a indiqué que les médias internationaux faisaient le jeu de l’opposition « fasciste », comme le rapporte Le Monde le 21 février.
La vidéo précédemment citée explique également que la chaîne de télévision colombienne NTN24, qui couvrait les événements se déroulant au Venezuela, a été mise hors-ligne. Le 12 février, selon le site internet Caracaschronicles.com, la diffusion de photos sur Twitter dans le pays n’était plus possible. Il y a donc un strict contrôle des moyens de communications, utilisé pour des motifs politiques. De plus, Internet, auquel l’accès est faible, et la télévision câblée (à laquelle, selon Le Monde, seulement 53% des habitants du pays ont accès) n’ont qu’un impact qui reste limité dans le pays.
L’attitude des médias internationaux dans ce conflit interne est également à surveiller. Les grands journaux mondiaux sont restés quasiment muets au début de cette crise : elle n’avait par exemple fait ni la une du New York Times ou du Washington Post. Le non-traitement de cette crise peut cependant avoir aussi des conséquences pratiques, liées à la sécurité des journalistes : certains ont été blessés ou menacés (selon caracaschronicles.com).
De nombreux reproches ont été faits en particulier aux médias américains pour leur manque d’intérêt vis-à-vis de cette crise. Mais ne peut-on pas considérer que l’intérêt de ceux-ci est corrélé aux intérêts de la nation américaine ? L’Ukraine est un pays hautement stratégique, que le vieil ennemi russe cherche à « reprendre », et un pays aux portes de l’Europe. Les velléités d’expansion soviétique sont donc directement menaçantes pour les États-Unis (pour des raisons stratégiques, idéologiques et économiques). Alors que le Venezuela, un pays résolument anti-américain, est a priori moins attrayant pour les médias.
De plus, comme l’explique le Washington Post, plus un événement est éloigné, plus il faut qu’il soit spectaculaire pour capter l’attention du public : en Ukraine, on chiffre les morts en centaine, alors qu’au Venezuela, ils n’étaient encore « qu’»une dizaine. Ainsi une mort ukrainienne est vue comme un acte barbare du président russe, un sacrifié sur l’autel de la démocratie et de la liberté, tandis qu’au Venezuela cela choque relativement moins.
Mais doit-on modeler l’information en fonction des intérêts ou attentes du public ? Trop de crises, de révoltes, sont passées sous silence pour de simples questions de demande. Mais l’information n’est pas un produit comme les autres. Elle est à la base des décisions politiques, économiques, et à ce titre doit être, dans la mesure du possible, exhaustive dans un monde démocratique.