Si on n’avait pas peur de faire un jeu de mots un peu facile, on pourrait dire que le dernier ballet de la Place des Arts a été parfaitement sculpté à l’image de l’histoire d’amour tumultueuse entre les deux artistes. Du 13 au 22 mars, les Grands Ballets Canadiens présentent Rodin/Claudel, une création du chorégraphe canadien Peter Quanz, au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.
Tous deux sculpteurs, Auguste Rodin et Camille Claudel se rencontrent pour la première fois à Paris en 1883. Malgré leur grande différence d’âge, les deux artistes débutent vite une relation intime aussi passionnée que destructrice. Au cours de la relation, Rodin ne renoncera jamais à Rose Beuret, sa maîtresse de longue date. Détruite par cet amour incomplet, rejetée par sa famille et ne parvenant pas à s’imposer artistiquement, Camille finit par sombrer dans un délire psychotique. Elle finira sa vie internée.
Dès l’ouverture, la dimension corporelle est immédiatement mise en évidence. La naissance symbolique des deux amants, issus de la terre glaise, est représentée par un amas de danseurs au mouvement perpétuel. Dans une succession de mouvements lents et fluides au sol, les corps donnent vie aux deux artistes. Ce groupe de danseurs, qui représenteront au cours du ballet à la fois les sculptures de Rodin et de Claudel et les deux protagonistes eux-mêmes, amènent une présence tour à tour figée et mouvante, dans des chorégraphies de groupe d’une synchronisation remarquable.
Un décor épuré permet de laisser toute la place à la trame narrative, déjà assez chargée en émotions, mais surtout à la danse. Un praticable blanc rectangulaire sert à la fois de socle aux sculptures et de mobilier, et un panneau à carreaux peints figure successivement les fenêtres de l’atelier et le décor extérieur, dont l’atmosphère change au gré de la couleur des éclairages. Sur cette scène libre de tout élément scénographique superflu, les danseurs ont l’espace qu’il leur faut pour laisser libre cours à leurs déplacements.
Les sentiments qui lient Rodin et Claudel l’un à l’autre sont rendus visibles tout au long du ballet par les duos sensibles des solistes Valentine Legat et Marcin Kaczorowski, dont les mouvements sont toujours à la frontière de la sculpture et de la caresse. Leur deuxième duo est particulièrement remarquable : ce qui commence par une séance de pose se transforme en étreinte passionnée, Rodin se dévêtant pour rejoindre Claudel dans sa nudité de modèle, leur deux corps ne faisant plus qu’un dans le matériau de la création.
Cette dimension charnelle est particulièrement mise en lumière par le contraste entre les sous-vêtements moulants beiges clairs portés par le corps de ballet et les costumes aux couleurs vives des solistes. L’exubérance et la spontanéité de l’existence artistique se retrouve dans les complets aubergine et violet de Rodin et de Paul Claudel, ainsi que dans les robes aux couleurs vives des modèles et de Camille, lesquelles s’opposent à l’austérité des habits sombres des parents Claudel.
La danse de Camille Claudel (Valentine Legat) est, fidèle à son style dans La Belle au Bois Dormant, gracieuse et aérienne, avec des lignes parfaites. Son interprétation de la folie de Claudel est très juste, et cette image de la sculptrice dans sa robe à frous-frous écarlate grimpant sur la montagne de corps des danseurs, pour mieux défier la société qui la raille, est empreinte d’une symbolique frappante.
Une fois de plus, l’histoire tant connue des deux amants sculpteurs est offerte en images au public, avec une grande finesse artistique.