Combien de caméras surveillent les étudiants de McGill ? Que penser des interventions de la police sur le campus ? Depuis le printemps étudiant, la place de la police a augmenté à Montréal, et de petites caméras de surveillances bourgeonnent un peu partout aux intersections stratégiques au sein de la métropole.
L’Université McGill ne fait pas exception à la règle. Depuis le rapport Manfredi et la modification au protocole de l’étudiant, les dispositions quant au droit de manifester sur le campus ont changé. Comme l’explique au Délit André Costopoulos, doyen à la vie étudiante, les manifestations sont tolérées sur le campus à moins qu’il y ait obstruction d’une entrée ou d’une porte. À partir de ce moment, McGill se donne le droit d’intervenir.
Toutefois, comme Michelle Hartman, professeure de littérature arabe à McGill l’explique, la présence policière sur les campus et la surveillance découragent les étudiants à se mobiliser et amènent un climat de peur sur le campus. Elle croit que c’est évident que les actions à saveur politique sont visées par l’administration de McGill, surtout depuis l’adoption du protocole. Michelle est l’une des six professeurs de McGill qui a signé la lettre il y a deux semaines qui demande la démission de Marc Parent et de Ian Lafrenière, respectivement directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et porte-parole du SPVM. Cette lettre a été signée par 120 personnes suite à l’arrestation de masse qui a eu lieu le 15 mars lors de la traditionnelle manifestation contre la brutalité policière.
« Après deux avertissements, c’est clair qu’il faut faire appel à de l’autorité externe. »
Quand la police réplique
Au cours du dernier mois, à deux reprises, le SPVM a été appelé par McGill. En effet, un message adressé aux étudiants mcgillois informait que des policiers pourraient intervenir sur le campus lors de la Saint-Patrick. Aussi, la police a été appelée pour disperser le petit groupe qui manifestait en face des laboratoires lors de l’action organisée par demilitarize McGill contre la recherche sur les drones de guerre.
« Ça, ça fait parti de la réponse normale de l’Université quand il y a obstruction […] Après deux avertissements, c’est clair qu’il faut faire appel à de l’autorité externe », dit André Costopoulos . Il explique que si la manifestation avait eu lieu sans obstruction, il n’y aurait pas eu de problèmes. « Des interventions policières, on en a assez souvent », dans les résidences aussi, mentionne-t-il. « Il y a un taux assez constant du nombre d’interventions par session ».
André Costopoulos dit toutefois que « dans le cas de la Saint-Patrick, McGill n’a pas fait appel à la police », mais que c’est normal d’avoir une relation avec eux dans le cadre de cette fête car ils doivent veiller à la sécurité dans la communauté de Milton-Parc. « S’ils veulent patrouiller sur le campus, on ne peut pas les en empêcher […] mais ce n’est pas nécessairement parce qu’on leur a demandé d’intervenir », dit-il.
« Du point de vue de l’Université, manifester ce n’est jamais un problème. La liberté d’expression, la liberté d’assemblée à l’Université c’est fondamental comme droit […] Ce n’est d’ailleurs pas limité par le code de conduite de l’étudiant ».
Cette intervention de la police est-elle souhaitable sur un campus universitaire ?
André Costopoulos affirme que souvent, McGill n’a pas de contrôle sur l’intervention de la police sur le campus. Lorsque c’est l’Université toutefois qui le demande, la police peut intervenir dans les cas où il y a obstruction.
Michelle Hartman croit qu’il y a trop d’interventions policières sur le campus, comme à Montréal en général. « Ça fait à peine deux ans que la police est venue sur le campus, a défait une occupation, et a battu des étudiants ». Elle est préoccupée par le fait qu’appeler la police pour terminer les manifestations ne fasse que dissuader les étudiants de manifester. « Je ne vois pas pourquoi on doit avoir des policiers qui viennent mettre fin aux manifestations étudiantes. C’est quelque chose que je n’approuve pas ».
Suzanne Fortier dit que les étudiants ont le droit de manifester de manière pacifique, mais qu’ils n’ont pas le droit de nier les droits d’autrui. Elle dit que les étudiants ont été avisés qu’ils devraient quitter les lieux, mais qu’ils ne l’ont pas fait, et qu’à ce moment là la police a été appelée. « C’est des questions difficiles. […] Je crois à la liberté d’expression, c’est un droit fondamental », dit-elle. « Est-ce qu’on aime ça appeler la police ? Non, pas du tout ! Mais il faut penser aux étudiants qui voient leur droit d’accès dénié » conclut-elle.
Souriez, vous êtes filmés
À McGill, les caméras sont organisées dans un système de réseau fermé, administré par les services de sécurité de l’université. Le protocole de McGill sur les caméras stipule que les caméras sont utilisées dans une optique de sécurité de la communauté de McGill.
Toutefois, Michelle Hartman se questionne : « Voulons-nous vivre dans une société où nous sommes surveillés par qui, pourquoi, pour quelles raisons ? Je ne crois pas ».
André Costopoulos dit qu’à McGill, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre de caméras de sécurité. « Tout est dans l’application des outils [de sécurité qui peuvent devenir des outils de surveillance]. Il faut s’assurer que l’administration se sert des outils de la bonne façon ».
André Costopoulous ne sait toutefois pas s’il y a une politique par rapport à l’utilisation des caméras.
Et est-ce que ces caméras sont parfois utilisées comme preuve contre les étudiants ?
En réponse à cela, André Costopoulos dit que « s’il y a une allégation relative au code de conduite étudiante, n’importe quelle preuve peut être amenée par l’équipe disciplinaire par rapport à ça. […] Le comité décidera si c’est une preuve valable ».
« Ils savent qui sont les étudiants, ils savent quel est votre nom, où vous allez […] Il y a ce genre de détails dans les rapports. »
Michelle Hartman ne comprend pas pourquoi il doit y avoir des caméras sur le campus. Elle dit que les caméras sont utilisées par les gardes de sécurité pour filmer les étudiants et d’autres personnes lors des manifestations et qu’ils en rédigent ensuite des rapports. « J’ai vu les rapports qui relatent ce que les étudiants font sur le campus. Ce n’est pas une question, c’est un fait [que McGill surveille les étudiants, les professeurs et d’autre personnes]», dit-elle. « Il y a des étudiants qui ont eu des charges disciplinaires portées contre eux, et ce sont des preuves vidéos qui ont été utilisées contre ces personnes […] Il y a des exemples […] qui étaient dans le rapport de sécurité : ‘’l’étudiant X était avec l’étudiant Y et faisait telle chose. Et ce n’est pas seulement l’étudiant X dont on parle, mais toutes ces autres personnes impliquées ». « Ils savent qui sont les étudiants, ils savent quel est votre nom, où vous allez […] Il y a ce genre de détails dans les rapports ». Elle croit qu’il faut vraiment se questionner sur la place des caméras au sein de McGill.
Antoine S. Christin, un étudiant de l’Université de Montréal, avait demandé en 2012 à l’Université McGill de lui fournir des enregistrements vidéos car il s’était fait arrêté par le Service de police de Montréal en face du portail de l’Université. L’étudiant aurait eu besoin de cette preuve pour justifier une arrestation abusive faite à son égard par le policier Dominic Chartier lors d’une manifestation dans le cadre de la grève étudiante. La responsable de la sécurité de McGill avait alors refusé de lui donner les enregistrements, en spécifiant que cette information ne pouvait lui être fournie parce qu’exclusive aux policiers ou au corps de justice.
Est-ce que les caméras de surveillances sont donc vraiment un moyen efficace d’assurer la sécurité des gens observés ? Michelle Hartman dit qu’elle ne se sent pas plus en sécurité parce qu’il y a des caméras de sécurité.
André Costopoulos dit que « À l’Université, on peut et on doit tout questionner. Donc si quelqu’un veut apporter une question au Sénat ou dans un des corps administratifs à McGill, il devrait le faire, et puis il va y avoir réponse à la question, c’est pas un problème ».
À l’UQAM, cela fait maintenant presque deux ans que les étudiants se mobilisent contre la présence de caméras au sein de l’Université. Simon Larochelle, exécutant sur l’association étudiante de science politique et droit, explique au Délit que ce n’est pas nouveau qu’il y ait des caméras à l’UQAM, cela fait depuis les années 1990 qu’on en retrouve. Toutefois, c’est récemment, suite à la grève étudiante en 2012, que le café Aquin et ses corridors avoisinants se sont vus fermer, des endroits reconnus pour abriter des étudiants et des associations politiquement engagés. « C’est là qu’on a vu le nombre de nouvelles caméras de surveillance augmenter », « elles ont été installées dans le périmètre, à l’extérieur de celui-ci et un peu partout dans l’UQAM ». C’est à ce moment qu’une campagne contre les caméras de sécurité s’est entamée. « On a fait face vraiment à une offensive de l’UQAM », poursuit-il.
À l’UQAM, on ne voit plus cela comme des caméras de « sécurité » mais carrément comme des caméras de « surveillance », explique Simon. Les étudiants se sentent plutôt surveillés, voire espionnés, car ça empiète sur la protection de leur vie privée. « C’est une façon détournée de surveiller et de dissuader l’activité politique et syndicale étudiante », explique Simon. En effet, les caméras ont été placées stratégiquement. L’administration a le plein pouvoir sur ce qui est recueilli par les caméras, et il n’y a pas de politique de gestion de ces caméras. « Le service de sécurité de l’UQAM a aussi la possibilité d’installer des caméras cachées, sans devoir rendre des comptes à ce sujet », poursuit-il. Le débat entre sécurité et éthique n’est donc pas résolu.