Cette semaine s’est tenu pour la 10e année consécutive le Festival international du film Black de Montréal. Parmi un large éventail de longs et courts-métrages venant des quatre coins du monde, la soirée « Relève et Diversité » a été l’occasion de présenter cinq jeunes cinéastes issus des communautés noires de Montréal sous le thème « Être Noir à Montréal ». La singularité de chaque court-métrage a permis de rendre compte de la diversité des expériences de chacun des cinéastes. Lumières sur l’un de ces courts-métrages : Kafou Kreyol.
« Pourquoi ne t’a‑t-on pas appris le créole ?» Stefan Veran, Canadien d’origine haïtienne, balbutie et peine à expliquer la cause de sa méconnaissance de la langue de ses parents. Montréal, kafou (carrefour) des cultures, Kafou Kreyol. Annick Maugile Flavien, jeune étudiante d’origine haïtienne née à Montréal et auteure du film propose une réflexion sur la place du créole dans la communauté haïtienne de Montréal, mais aussi sur sa terre d’origine, Haïti. Sept intervenants témoignent et nous font part de leur expérience avec cette langue. « 98% des enfants issus de la diaspora haïtienne à Montréal ne parlent pas créole » nous explique Pierre Lubin, doctorant à McGill. Un malaise, une honte, presque un « rejet » de leur langue maternelle ; la transmission de cet héritage linguistique ainsi que des traditions et de la culture liées à cette langue pose problème. Cette réalité trouverait son origine dans le contexte haïtien où le créole est délaissé au profit de l’enseignement de la langue, de la culture et de l’histoire françaises. Langue de « l’élite intellectuelle » haïtienne, le français est la langue des privilèges, celle qui donne accès aux meilleures opportunités, mais aussi la langue de la division. Alors que 95% de la population parle créole, le français continue de s’imposer comme la seule langue « de valeur », garante de réussite sociale.
Ainsi, dans une ville où le français est la langue officielle, la diaspora haïtienne ne fait que reproduire un schéma qu’elle a toujours connu. « Les parents estiment que le créole n’est pas important, qu’il ne permet pas de se démarquer dans une société où l’on favorise le français. Ils ne font pas d’efforts pour exposer l’enfant au créole », déplore Pierre Lubin. Pourtant, le créole n’est pas la langue de l’échec ; elle porte en elle une histoire, une culture, une philosophie, une mémoire : celle des ancêtres. Le créole, c’est « la langue des sentiments, de la vie de tous les jours » s’émerveille Bernadette Maugile, la mère d’Annick. Dans un contexte où la communauté noire demeure une minorité, il semble important de pouvoir se retrouver dans cet environnement, d’avoir des points de repère, de pouvoir s’identifier à quelque chose. Être Noir à Montréal, c’est faire partie de cette grande mosaïque multiculturelle, danser cubain et manger indien ; mais c’est aussi contribuer à cette diversité en cultivant sa différence et sa singularité. On peut vouloir revendiquer cette mixité culturelle et se déclarer « citoyen du monde », mais il semble important aussi de se questionner sur la valeur et la richesse de nos origines. Ainsi, en prenant pour sujet cette réalité particulière, Kafou Kreyol nous invite à nous interroger sur le rôle que l’héritage culturel peut jouer dans la construction de son identité. La thématique nous parle, on s’y retrouve d’une manière ou d’une autre, et c’est ce qui fait la force de ce documentaire. Un sujet complexe scellé en dix minutes. On en redemande.