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Lisa Leblanc fait rugir le Lion d’Or

Du Kraft Dinner, des tounes d’amour, pis d’la marde.

John Londono

La porte d’entrée du Lion d’Or affiche laconiquement l’évidence : « Lisa Leblanc : Complet ». La petite foule entassée fébrilement devant le rideau rouge observe avidement l’armada de guitares de toutes sortes qui reposent sur la scène et qui promettent ostensiblement une chose : ça va rocker ce soir. Après un moment, c’est Lisa Leblanc en personne qui débarque sur scène pour annoncer sa première partie et les avertissements d’usage. Ou bien, presque d’usage : « C’est dégueulasse le flash. C’est vrai man, on a tout le temps des double chins pis c’est laitte en osti. Je vous demanderais aussi de farmer vos téléphones. Vivez votre vie man. »  Le message est clair. Ce soir, on va vivre.

Pour sa première partie, la chanteuse nous fait part de sa révélation de l’année : Louis-Philippe Gingras, un Abitibien aux allures « hillbilly », cravate bolo et moustache yolo, sans gêne  et sans complexe par rapport à son country sale, à la fois comique et criant de réalisme. Il est accompagné à la basse par Dany Placard, autre musicien de talent qui a récemment lancé son propre album, Santa Maria.

Puis la chanteuse réapparait, en jolie robe sixties et sempiternelles bottes de cowboy, et retraverse les chansons de son album éponyme,  qu’elle présente en tournée depuis maintenant deux ans. « C’est le never ending tour » blague-t-elle. La salle du Lion d’Or a été spécialement choisie pour cet évènement final, puisqu’il s’agit du lieu où ledit album a été lancé, sans savoir les proportions phénoménales qu’il allait prendre. Soit « 208 shows pis ben du kilométrage », comme le résume Lisa Leblanc. La soirée est ponctuée d’«une chiée d’invités », dont Ariane Moffatt à la batterie et Marie-Pierre Arthur pour un projet alternatif, dont Louis-Jean Cormier (malheureusement absent ce soir-là) fait également parti. 

Lisa Leblanc est une chanteuse véritablement admirable pour sa générosité sur scène, son émotion palpable pour chacune de ses chansons, inlassablement chantées et rechantées depuis 2012. La symbiose avec les musiciens est tout simplement magnifique et la jeune femme, virtuose du banjo et de la guitare comme peu d’autres, se donne entièrement, balançant  son corps avec énergie en fusion avec la musique. Le temps de quelques chansons la voilà complètement échevelée, en sueur avec le maquillage qui coule, l’air éberluée par tout l’amour que lui déclare son public montréalais. C’est à un point tel qu’à peine rendu à la moitié du spectacle c’est l’ovation, et l’artiste, enterrée par les cris, ne cesse  de s’épancher en remerciements incrédules. 

Au moment de l’incontournable « toune de marde » comme dit la chanteuse, accompagnée de sa « chorale du bonheur », le public jubile d’hurler sans façon, sans manquer une parole, les petites et grandes difficultés d’existences auxquelles on n’échappe pas. Lisa Leblanc fait également cadeau  aux spectateurs d’une nouvelle chanson intitulée « Downtown » qui raconte l’histoire d’un choc culturel : le sien, en passage du Nouveau-Brunswick à la métropole,  sorte de blues éclaté avec fond de petites filles en mini-jupes sur St-Laurent au mois de janvier. Elle interprète aussi un morceau de son EP en anglais à venir au mois de novembre, sa ballade poignante  « You Look Like Trouble, But I Guess I Do Too ». 

C’en est trop, le public en extase ne veut plus la laisser partir lorsqu’elle dit amorcer sa dernière chanson.  Oui mais c’est la « dernière » chanson, précise-t-elle, les yeux aux ciels, on connait ladite « dernière » chanson.  Elle égrène les rappels, en solo puis entourée de ses musiciens. Émue, elle peine à articuler ses remerciements. Pour la toute dernière chanson, la vraie , elle choisit « Kraft Dinner » avec ses deux musiciens, amis et compères  avec elle depuis le début de l’aventure : Jean-Philippe Hébert, guitariste et Maxime Gosselin, batteur. « C’est safe de dire [après quatre ans] que c’est notre relation la plus longue aux trois » avoue-t-elle, des sanglots dans la voix et dangereusement proche de sa phase « ugly cry » comme elle le dit.  Et c’est si beau de voir la chanteuse épuisée, ainsi flanquée de deux grands gars en chemise de cowboy eux aussi détruits par l’émotion, alors qu’ils entonnent en chœur leur chanson finale. Puis, après deux couplets, un étrange bruit de percussion se fait entendre des coulisses, et l’on voit surgir Ariane Moffatt, Marie-Pierre Arthur, Louis Philippe Gingras et toute la joyeuse bande de déjantés qui défile avec des boîtes de Kraft Dinner en guise de maracas, à la surprise la plus totale de Leblanc qui éclate de rire, mais sans jamais perdre le contrôle de sa guitare. 

« Au pire on rira ensemble, on mangera du Kraft Dinner, c’est tout ce qu’on a de besoin » sont les paroles sur lesquelles Lisa Leblanc quitte cette portion de sa carrière. Chose certaine, du Lisa Leblanc, le public en mange et en redemandera.


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