Le 4 septembre 1984, la maison de disque Audiogram naissait par la réalisation de l’album Nouvelles d’Europe de Paul Piché. Cet automne, la maison de disque a décidé de célébrer en grand avec un album de reprises : 30 artistes qui réexplorent en mode minimaliste une chanson marquante de leur carrière. Cet exercice permet de constater avec énormément de plaisir à quel point la maison de disques indépendante a su, au cours des dernières décennies, garnir le paysage musical québécois d’œuvres phares et d’artistes essentiels. Le tout dans un nombre impressionnant de styles et d’envergures différents.
La couverture noire de l’album affiche une sobriété élégante : un simple micro d’enregistrement, un seul point de départ vers tant de chemins différents. Chaque artiste a également été filmé lors de sa performance en studio, dans une mise en scène simple en noir et blanc. Tout ce dépouillement esthétique vient mettre une chose en évidence : une multitude de sons et d’images a fourmillé au sein d’Audiogram, et ce par ces chansons qui sont un bonheur à découvrir ou à redécouvrir. Les vidéos, toutes disponibles sur le site Internet de la maison de disques, valent chacune le détour, que ce soit pour regarder Jean Leloup dialoguer avec un chien en porcelaine, Marc Déry pêcher de la truite avec sa guitare, Salomé Leclerc en femme-orchestre, ou tout simplement pour admirer la virtuosité dont fait preuve chacun des interprètes de l’album.
Au final, le concept est particulièrement bien réussi. Audiogram offre ici un superbe document d’anthologie dans lequel les artistes se sont prêtés au jeu avec nostalgie, émotion ou ludisme, afin de repeindre brièvement une partie du panorama musical québécois.
Quelques coups de cœur bien personnels :
« Fin octobre, début novembre » d’Isabelle Boulay : Parce que l’on est désormais bien ancré dans cette période de l’année où le gris et la noirceur peuvent devenir étouffants. Et si une chose peut parvenir à nous sauver de l’inévitable dépression saisonnière, je me dis que c’est bien la voix assurée et mélancolique de la magnifique Isabelle Boulay qui décrit la solitude de Montréal qui sévit durant cette période de l’année.
« Johnny Go » de Jean Leloup : Sur une note relativement (peu) pertinente, je tiens à dire que je suis très contente de voir Jean Leloup participer à cet album, parce que ça faisait longtemps qu’on ne l’avait vu nulle part et que des fois j’ai peur que Jean Leloup soit juste parti à jamais pour élever des scorpions au Mexique sans nous le dire. Il me semble que ça serait son genre, et je ne suis pas prête à vivre dans un Québec où Jean Leloup n’est pas. Mais il y est, il joue encore de la guitare, et me voilà rassurée.
« Les coloriés » d’Alex Nevsky : C’est une formule désormais assurée gagnante que de reprendre un succès pop acoustiquement et de façon sentie, et Alex Nevsky s’en tire extrêmement bien, seul au piano, pour livrer son texte d’une belle poésie et à la mélodie si accrocheuse. C’est une reprise qui tombe à point si l’on commençait à se lasser de sa version radio qui a connu un succès délirant ces derniers temps.
« Le feu sauvage de l’amour » de Rock et Belles Oreilles : Bien franchement, je vous mets au défi de ne pas vous sentir un tant soit peu plus heureux en écoutant les harmonies de ce succès légendaire du groupe RBO. De plus, on y constate que les solos de gazou sont présentement en train de faire un retour en force sur la scène musicale, vous m’en voyez ravie.
« Libérez-nous des libéraux » de Loco Locass : Les téléchargements de cette chanson avaient grimpé en flèche lors du retour en majorité des libéraux au printemps passé, et en l’honneur de cette reprise, le groupe de rap québécois en a retravaillé une portion des paroles afin de répondre au goût (ou dégoût) politique actuel. Un petit bonjour passé à Françoise David et voilà une mise à jour très appréciée, sur un rythme et un message toujours aussi efficaces.
« De cara a la pared » par Yves Desrosiers et Mara Tremblay : Respectivement à la guitare et au violon, les deux artistes rendent un hommage touchant à la prodigieuse chanteuse Lhasa De Sela, morte il y a quatre ans. Pièce instrumentale parmi l’océan des voix dans l’album, cette reprise sans paroles vient décrier la terrible perte pour le monde musicale que fut la disparition de Lhasa. Une belle façon de souligner par la musique le silence de la mort.