C’est le 10 du 10 à 10h10 que se sont rassemblées quelques dizaines de personnes à la place Émilie-Gamelin pour manifester contre la médicalisation excessive des troubles de santé mentale. Un nombre modeste de manifestants, mais un message lourd de sens : le besoin d’élargir le débat et les discussions, de sensibiliser la population aux méthodes alternatives aux médicaments. Les manifestants s’accordaient quant à la cause de la situation actuelle. « On a tendance à tout médicaliser, tout devient un problème de santé mentale et la solution, c’est les médicaments », confie avec ironie un manifestant.
« Tu es différent, t’as oublié ton traitement ? », « Mon médecin, mon dieu », « Ton docteur le sait mieux que toi » : tels étaient les messages que l’on pouvait lire sur les pancartes des participants, démontrant l’approche humoristique prônée par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) pour l’événement. Le nom de ce dernier étant « on lâche notre fou », les gens étaient incités à se vêtir de blanc et d’un nez de clown.
Plusieurs groupes se préoccupent de ce phénomène, particulièrement les membres du RRASMQ, qui agit à l’échelle provinciale. Leur mission vise à sensibiliser la population et à contrer la stigmatisation de la maladie mentale encore bien ancrée dans la pensée collective. Selon eux, les problèmes de santé mentale ne peuvent pas être assimilés à des coûts : c’est une réalité concrète avec des causes concrètes. « Tout n’est pas dans le DSM [Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, un ouvrage américain de référence dans le milieu psychiatrique, ndlr]», mentionnait Robert Théoret, le responsable à l’action politique de l’organisation.
Les membres du groupe affirment que ce sont les industries pharmaceutiques et la psychiatrie qui sont les acteurs les plus influents sur la scène médicale actuelle. Ensemble, ils imposent une conception des problèmes de santé mentale, une conception biomédicale et obtiennent le contrôle des solutions. Ces dernières années, nous avons assisté à une croissance phénoménale du nombre de prescriptions d’antidépresseurs au Canada, une situation qui inquiète le RRASMQ. « Pour eux [les industries pharmaceutiques], il y a un diagnostic et un médicament pour toutes les situations auxquelles l’individu et la société sont confrontés, que ce soit pour la tristesse, la gêne, le deuil, le stress, la violence ou des troubles d’apprentissage chez les jeunes » explique Nadia Parée, responsable des communications.
Le problème d’une époque ?
James Falconer, professeur de sociologie à McGill mentionne, en entrevue avec Le Délit, l’importance de faire une distinction correcte entre la normalité et la pathologie. Tout comme le mentionne le RRASMQ, il semble incorrect de dire que le taux de troubles dépressifs a toujours été aussi haut dans notre société. « Dire que ce qui justifie cette augmentation de diagnostics est uniquement notre capacité récente à détecter les dépressions n’offre pas une explication complète de la situation » mentionne M. Falconer.
Les organisateurs soulevaient à plusieurs reprises l’idée selon laquelle il est possible que le contexte social, économique et culturel génère des situations et des états qui perturbent la santé mentale. Par contre, la problématique demeure : « en donnant systématiquement des médicaments pour toutes les situations, [on] limite les recherches sur les causes non biologiques », rajoute M. Théoret.
La santé mentale est un thème qui touche tout le monde, les étudiants universitaires y compris. À McGill, c’est une branche de Jack.org qui se dédie depuis deux ans à transformer la façon dont nous voyons la santé mentale. Leurs objectifs vont dans le même sens que les diverses organisations présentes, c’est-à-dire réduire les préjugés autour de la maladie mentale à l’aide de ressources et de soutien. Ils organiseront d’ailleurs une série de conférences avec des experts du domaine de la santé mentale sur des sujets tels que le stress lié aux examens et l’importance d’avoir un réseau de soutien. Une exposition d’art autour du thème de la santé psychologique sera d’ailleurs tenue plus tard cette année.