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Qui paye l’avenir ?

Le financement privé des universités québécoises, source de controverse.

Mahaut Engérant

Au fil des dernières décennies, la part de financement public dans les universités n’a cessé de décroitre, motivant par le fait même la recherche de financement privé pour subvenir aux différents besoins de la vie universitaire. Cette modification des sources de financement ouvre la voie à une redéfinition du rôle et du fonctionnement des institutions d’enseignement supérieur.

Pallier les coupes du gouvernement 

À l’Université McGill, les coupes budgétaires récurrentes imposées tant par le PQ que par le PLQ atteindront un total de 45 millions de dollars pour l’année financière 2016 comparativement à l’année 2013, confie le doyen Anthony C. Masi dans un échange de courriels avec Le Délit. Le manque à gagner pousse l’Université à faire une place de plus en plus importante à des « sources alternatives de revenus », avoue-t-il. Amina Moustaqim-Barrette, vice-présidente aux affaires externes de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM), explique que « les coupures […] ont créé une dépendance de plus en plus grande de l’Université McGill envers des sources de financement externes ». Elle rapporte qu’en 2013 par exemple, « l’Université s’est lancée dans une grande campagne de financement, « Inventer l’avenir », afin d’aller chercher des fonds monétaires auprès d’anciens étudiants de McGill ». 

Par financement privé, on entend principalement les dons de particuliers et les dons d’entreprises. À McGill, on sollicite les entreprises privées pour obtenir leur contribution financière dans différents aspects de la vie étudiante. Il s’agit par exemple de financements d’événements étudiants — dont la soirée des activités ou le 4 Floors—, de publicités — par exemple dans l’album de fin d’année Old McGill ou dans l’agenda étudiant— , de réservation de kiosques et de tables dans le bâtiment de l’AÉUM — où les entreprises peuvent faire la promotion de leurs produits et recruter des étudiants — , de dons de particuliers — dont la majorité est redistribuée aux étudiants sous forme de bourses —, de revenus de ventes et de services — qui sont en hausse à McGill, nous informe M. C. Masi — ou encore des subventions de recherche par des entreprises privées pour les étudiants des cycles supérieurs notamment. Le doyen de McGill souligne que les entreprises privées peuvent apporter des contributions autres que financières, par exemple en mettant en place de solides partenariats ou en offrant des stages. L’Université a d’ailleurs mis en place le Centre de partenariat avec les entreprises de l’Université McGill (MUBEC) en 2012 afin de faciliter les relations entre les étudiants et les entreprises, rapporte M. C. Masi. En entrevue téléphonique avec Le Délit, Jonathan Bouchard, président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), met en garde contre les « liens créés entre les entreprises et les universités » qui risquent de porter atteinte à l’autonomie de recherche des institutions universitaires. Les chaires de recherche, comme le note Camille Godbout, porte-parole de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), sont également largement subventionnées par des entreprises privées. Madame Godbout souligne aussi que l’Université McGill obtient davantage de financement privé, notamment sous forme de dons ou de commercialisation de brevets, que les universités publiques (le réseau Université du Québec, dont fait partie l’Université du Québec à Montréal (UQAM)).

McGill, choyée ?

De retour au pouvoir depuis avril dernier, le gouvernement libéral a rendu public en décembre 2014 un nouveau rapport sur la politique de financement des universités. Ce rapport permet de constater que le secteur de l’éducation postsecondaire n’échappe pas à la volonté du gouvernement Couillard de sabrer les dépenses destinées au financement des services publics à la faveur des investissements privés. Depuis 2008, un projet pilote mis sur pied par le gouvernement du Québec permet la déréglementation partielle des droits de scolarité pour les étudiants internationaux de six familles de programmes, soit : administration, informatique, génie, droit, mathématiques et sciences pures. Le projet pilote, qui visait à étudier l’impact d’une hausse des frais de scolarité sur l’inscription d’étudiants internationaux, devait prendre fin en 2014. Mais le rapport rendu public en décembre dernier fait « suite informelle » au projet pilote sans vraiment en faire mention : on ouvre la porte à une déréglementation totale des frais de scolarité pour toutes les familles de programmes. 

Lise-Marie Gervais et Philippe Orfali dénonçaient dans un article du Devoir du 13 décembre 2014 l’ouverture « à une modulation des frais de scolarité en fonction des disciplines pour les étudiants étrangers et des autres provinces » mise de l’avant par ce rapport. Dans ce même article, Jonathan Bouchard, président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), reprochait au gouvernement de transformer les étudiants en « vaches à lait », craignant que les universités qui comptent nombre d’étudiants internationaux — dont McGill — soient avantagées sur le plan financier par rapport aux universités dotées d’une population estudiantine plus locale. Olivier Marcil, vice-président aux relations externes de l’Université McGill, affirmait quant à lui être satisfait de la mesure proposée : « Les universités sont mieux placées [que le gouvernement] pour comprendre à quelle hauteur moduler les frais en fonction de leur clientèle étudiante », affirmait-il au quotidien montréalais. Monsieur C. Masi affirme au Délit que les frais de scolarité reçus par les étudiants étrangers inscrits dans ces programmes déréglementés ont quelque peu augmenté au cours des dernières années, ce qui permet en partie de contrebalancer la diminution du financement gouvernemental.

Réorientation de la mission de l’université

Du point de vue étudiant, on craint la réorientation de la mission de l’université qu’apporte la hausse constante de la part du financement privé dans le réseau universitaire québécois. Camille Godbout remarque que le changement observé a comme résultat qu’«on tente de réorienter les programmes et la formation universitaire vers ceux qui donnent un accès plus facile à l’emploi. Les activités de recherche scientifique, note la porte-parole, sont donc modifiées en conséquence pour soutenir ces programmes ». Amina Moustaqim-Barrette va plus loin et observe que « le recours au financement privé crée une dynamique où les enseignants se sentent poussés à [satisfaire] les donateurs. [Ils sont] donc moins objectifs par rapport à la matière enseignée, à la recherche et même à la façon d’enseigner leurs cours ». En novembre dernier, par exemple, on apprenait que la compagnie pétrolière TransCanada, dont le projet de port pétrolier menaçait la survie des bélugas, était en discussion avec l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER) afin de mettre sur pied une chaire de recherche sur le béluga, une initiative controversée qui a finalement été abandonnée. On peut remettre en question l’objectivité des recherches qui auraient été subventionnées par la compagnie privée. À McGill, monsieur C. Masi affirme qu’on a mis sur pied des politiques et des règlements qui assurent la liberté d’expression et la liberté universitaire et qui minimisent les risques de conflits d’intérêts. On s’assure que la mission universitaire de l’institution n’est pas compromise par des cadeaux ou des mandats de recherches acceptés par l’Université.

Ainsi, la modification des sources de financement du réseau universitaire québécois ne touche pas qu’au budget des universités, mais encourage une redéfinition du rôle de l’enseignement et de l’université au sein de la société. L’université doit, de plus en plus, se conformer aux attentes de ses bâilleurs de fonds si elle souhaite conserver ses sources de financement. L’indépendance des professeurs et des chercheurs semble par conséquent de plus en plus menacée par la nécessité de plaire aux investisseurs privés afin de s’assurer le renouvèlement de leur appui financier. La vice-présidente aux affaires externes de l’AÉUM est d’avis que « l’enseignement et l’éducation devraient être exemptés de l’influence des entreprises corporatives ». En 2011 déjà, en réponse au recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton, qui affirmait que « les cerveaux [doivent] correspondre aux besoins des entreprises », Éric Martin — doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa — et Maxime Ouellet — enseignant au collège Lionel-Groulx —, décriaient dans un article du Devoir du 26 octobre la « redéfinition du rôle de l’université […] réduit[e] à n’être qu’une usine à diplômes et à brevets ». La « productivité » des parcours de formation, des professeurs et des universités semble donc en voie de devenir un critère essentiel au bon fonctionnement des universités, une situation dénoncée dans de nombreuses tribunes.


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