Comme d’ordinaire et en vertu de son mandat, la Biennale du Musée d’art contemporain de Montréal s’est donnée pour but de « soutenir des propositions artistiques audacieuses » en « offrant au public des expériences contrastées ». C’est du moins ce qu’on peut lire sur la brochure de « L’avenir (looking forward)», le nom donné à l’édition 2014 dans laquelle nous sont promis des questionnements sur le futur, le modernisme et tout ce qui relève de « l’après ». Mais avant de se réjouir, j’attends de voir si l’exposition parviendra à surprendre ou si les prédictions du petit livret sont plus vendeuses que les créations artistiques qu’il cherche à mettre en avant.
S’engagent un petit peu inquiets celles et ceux qui ont pris le risque de songer aux incertitudes que le concept de futur tend à inspirer. Mais ce qui est exposé dans la première pièce de l’exposition semble relativement inoffensif : un écran, des plans fixes de vagues, d’océan, de plages, le jour et la nuit — une installation signée Emmanuelle Léonard et accompagnée d’une voix douce qui nous commande de profiter de l’instant présent. Et c’est ce qu’on fait, assis sur un petit pouf noir. Relaxant ? Oui. Quelque peu troublant ? Non, mais le voyage vient tout juste de commencer.
C’est alors qu’on entre dans un monde parallèle : un projecteur animé fait glisser vers le plafond une vieille photo de l’Empire State Building. Dans une pièce annexe, trois écrans géants diffusent simultanément des films aux couleurs déroutantes. On ne comprend pas tout à fait ce qu’on est censé tirer de personnages portant des masques en carton ou de flashs d’images publicitaires qui brisent la continuité de la narration, mais on ressort avec l’impression d’avoir fait fonctionner les sections « futuriste » et « avant-garde » de notre cerveau. Malheureusement, certaines œuvres se tiennent bien de nous rappeler que l’on n’est pas seulement là pour s’amuser. L’artiste suisse Thomas Hirschhorn et son œuvre « Touching Reality » font défiler devant nos yeux les images de corps mutilés dépouillés de toute humanité, une façon d’éveiller la conscience du visiteur qui garde difficilement les yeux ouverts plus de quelques minutes.
On s’y attendait et c’est bien normal : la Biennale traite aussi de questions environnementales comme l’impact de l’exploitation des sables bitumeux sur les terres d’Alberta ou le conflit russo-japonais concernant l’extraction de ressources qui pourraient réduire la dépendance du Japon en énergie nucléaire. On réfléchit aussi face à des œuvres qui adressent de façon plus pudique des concepts qui donnent froid dans le dos. Par exemple, les diagrammes historiques de Suzanne Treister établissent un parallèle entre la croissance des progrès techniques effectués et le sentiment de perte de contrôle de l’Homme face aux forces intangibles, presque mystiques, qui semblent dominer le monde actuel.
Le périple culturel de la Biennale se clôt sur l’œuvre la plus drôlement étrange qu’il m’ait été donné de voir : « Tomorow’s achievement » de Ryan Gander, composée de quatre rideaux de différentes largeurs qui se déplacent autour de la salle sur deux rails motorisés, dissimulant tour à tour les œuvres des autres artistes exposés et bloquant à l’occasion les entrées des visiteurs. Ainsi, l’œuvre parvient à s’approprier la scène culturelle environnante pour nous placer devant un morceau de tissu mobile. Intéressant.
Trêve de plaisanterie, le musée va bientôt fermer, il est temps de jeter un dernier regard aux rideaux mouvants avant de revenir au monde réel. La Biennale a réussi son coup, l’avenir apparaît alors comme une source d’inspiration qu’il faut appréhender, non pas avec pessimisme, mais avec curiosité.