L’enseigne tape-à‑l’œil « Super Sexe » qui colore la rue Sainte-Catherine et les nombreux bars de danseuses qui parsèment le centre-ville de Montréal semblent indiquer que l’industrie du sexe y est active et féconde. Être exposé à ces vitrines du commerce sexuel amène cependant à une idée réductrice de la prostitution. Bien loin de ce que nous laissent voir les enseignes publicitaires, les ébats mercantiles ne semblent pas toujours être le lieu du libre arbitre.
Métier ou travail forcé
Au gré des enchantements : agences d’escortes, bars de strip-tease dits « exotiques », massages érotiques, projections de films pornographiques… voguent les clients. Pourtant, les institutions légales ne sont pas les seules à offrir de tels services. De larges réseaux de proxénètes et gangs de rue prennent part à un trafic d’êtres humains pour l’industrie du sexe, selon le rapport « Human Trafficking in Canada » publié en 2010 par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). La GRC estime à environ 600 par année le nombre d’individus trafiqués et victimes d’exploitation sexuelle au Canada. Le même rapport indique que la plupart de ces individus sont des femmes canadiennes âgées de 14 à 25 ans, souvent marginalisées et vivant sous le seuil de pauvreté. Les victimes de cette industrie sont aussi des sans-papiers, difficiles à recenser, et plus vulnérables en raison de leur statut.
Femmes autochtones, cible commode ?
Il apparait toutefois qu’un groupe minoritaire est représenté de manière disproportionnée dans cette industrie : les femmes des Premières Nations. Il n’est pas simple d’estimer le nombre exact de personnes impliquées dans cette industrie illégale à Montréal. Le milieu est difficile d’accès, les preuves souvent anecdotiques, et les chiffres manquent. Une étude du Comité ADM sur la Prostitution et l’Exploitation Sexuelle des Jeunes, datant d’il y a presque quinze ans, estime que dans certaines communautés de Colombie-Britannique, les jeunes des Premières Nations composent jusqu’à 65% des jeunes exploités par l’industrie du sexe. Difficile de généraliser ces chiffres à Montréal en 2015, cependant les disparitions mystérieuses de femmes autochtones ne sont pas des évènements rares. Les marches pour les femmes autochtones disparues et assassinées témoignent aujourd’hui du silence qui a longtemps plané et plane encore sur les violences perpétrées à l’encontre de ces femmes.
Beverly Jacobs, ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), dénonce les échos des premières versions de la Loi sur les Indiens qui permettait au gouvernement canadien de légiférer sur les réserves : « La conséquence d’être confiné dans des réserves, c’est que les hommes et femmes ont perdu leur responsabilité traditionnelle et leur force, qu’elle soit mentale ou physique. Les femmes étaient alors considérées comme la propriété de ces hommes qui commencèrent à croire qu’ils devaient penser comme l’homme blanc. »
Selon le rapport « Aboriginal Victimization in Canada : A Summary of the Literature » de Katie Scrim, chercheuse au Département de Justice du Canada, entre 25 et 50% des femmes autochtones ont été agressées sexuellement lors de leur enfance, contre 20 à 25% en moyenne pour le reste de la population. Les traumatismes engendrés par ces agressions font de ces personnes des victimes faciles pour les proxénètes.
Lutte, aide et légalité
Il existe des associations telles que Love146 qui luttent au Canada et à l’international pour l’abolition de ce trafic à travers des campagnes de sensibilisation et d’éducation des potentielles victimes. Un suivi, un soin et une réinsertion de ces personnes sont aussi des techniques qui sont utilisées pour leur venir en aide ; lorsque prévenir ne suffit pas, il faut guérir. D’autres associations telles l’AFAC luttent au niveau national pour le bien-être des femmes des Premières Nations en leur donnant une voix dans le monde politique. Le projet LUNE (Libres, Unies, Nuancées, Ensemble), « par et pour » les travailleuses du sexe, propose des hébergements d’urgence et des programmes d’éducation et de santé.
Le 6 octobre 2014, le projet de loi C‑36, qui vise à décriminaliser les travailleuses du sexe et criminaliser les clients et proxénètes, a été adopté par la Chambre des Communes. Éliane Legault-Roy, membre de la Concertation des Luttes contre l’Exploitation Sexuelle (CLES), décrit les avantages et les limites de cette nouvelle loi : « Une étude récente menée par trois économistes dans 150 pays a démontré que la légalisation de la prostitution a pour effet d’augmenter la demande, mais comme la légalisation ne fait pas en sorte que plus de femmes sont dans le besoin ou que plus de femmes ont “envie” d’être prostituées, la légalisation augmente inévitablement la traite humaine pour répondre à la demande. De plus, c’est beaucoup plus facile de cacher des victimes de traite ou des mineures dans des lieux fermés comme des bordels que dans la prostitution de rue ». Elle souligne cependant un bon côté des nouvelles mesures : « on voit enfin la prostitution non comme un crime, mais comme une atteinte à la sécurité des femmes. La loi vient avec un budget de vingt millions de dollars sur cinq ans et le gouvernement canadien est en appel de projet pour le soutien à la réinsertion des femmes : mesures d’employabilité, de santé, d’hébergement… on espère aussi qu’une partie des fonds va viser à sensibiliser les hommes, parce que ce n’est pas une fin en soi de les criminaliser, il faut plutôt les encourager à ne pas devenir clients à travers l’éducation et les campagnes de sensibilisation. »
Demain, plus rose ?
Un Plan d’action directeur sur la prostitution et la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle pour les années 2014 à 2016 a été émis par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM). Il cherche, entre autres, à approfondir les connaissances qui touchent au phénomène de la prostitution afin de faire des progrès malgré les changements continuels du milieu. Si Montréal ne cache pas son sexe, la police n’en est pas moins préoccupée par les abus de son industrie, et la solution miracle pour le défaire de son caractère parfois nuisible n’a pas encore vu le jour.