Christine and the Queens a fait une entrée remarquée dans l’univers de la pop francophone grâce à son clip Saint Claude, déjà visionné plus de six millions de fois sur Youtube. Seule sur un grand bloc rouge qui lui fait office de scène, la chanteuse danse. Mais quelle danse ! — celle qui fera sa gloire, assurément. Car le talent de Christine and the Queens, de son vrai nom Héloïse Letisser, consiste d’abord en l’audace d’allier à la pop une danse purement contemporaine, dans une vraie recherche artistique et avant-gardiste du corps. À cela s’associe une attitude queer fièrement assumée, un look à la fois androgyne et glamour, et une musique sophistiquée, longtemps polie dans les lieux souterrains de Londres, pour émerger électronique et hybride, tant en anglais qu’en français, et toujours sans complexes.
Tout cela, on pouvait le déduire simplement de ses quelques performances vidéo sur le Web, assez saisissantes pour faire vendre tous les billets du Métropolis ce jeudi dernier, où la chanteuse jouait dans le cadre du festival Montréal en Lumière. Restait à prouver que son concept si vendeur se traduisait bien sur la scène pour la durée de tout un spectacle. La réponse, simplement, est oui. Car ce que les vidéos ne laissent pas deviner, c’est le charme incroyable de la personne, son plaisir évident à être sur scène, et son attitude enjouée et communicative avec son public adorateur.
Dans son veston doré, entourée de deux musiciens et de deux danseurs, la dénommée Christine séduit un public déjà conquis dès les premières notes. « Ah Montréal, qu’est-ce que je suis contente ! » s’exclame-t-elle, « j’ai l’impression d’être une rock star grâce à toi. J’ai pas fait deux chansons que tu m’aimes déjà ! » Pour sa chanson iT où elle proclame fièrement « I’m a man now », elle allie à son style chorégraphique particulier certaines références gestuelles à Michael Jackson. Elle avoue alors être une grande fan de musique RnB, qu’elle appelle de la « musique de cheer up » — à chanter sous la douche quoi — ce qu’elle prouve en entonnant à la blague Say my Name, chanson à laquelle le public se joint immédiatement dans le rire ; douche d’amour immédiate dans le Métropolis.
Pour sa chanson Paradis Perdus, la chanteuse se place dans une rare immobilité, un seul rayon de lumière rose fendant l’obscurité bleutée de la scène. Puis elle se penche sur le rebord de la scène pour aller interpeller directement des membres du public. « Ah vous êtes proches mais loin », dit-elle en tentant de tendre son micro vers les gens, « ce paradoxe de la vie moderne ! » ajoute-t-elle d’un ton rieur. « Et toi, comment tu t’appelles ? », demande-t-elle alors en chantant aux gens placés à l’avant. « Et bien moi, réplique-t-elle, j’ai choisi mon nom. Et je m’appelle Christine ! » C’est alors le temps d’entamer la chanson éponyme, Christine, à nouveau en compagnie de ses danseurs, ses valeureuses Queens.
Tout au long du spectacle, la jeune femme prouve à répétition ses habilités vocales tant que physiques, tout en témoignant d’une énorme gratitude pour l’accueil on ne peut plus chaleureux du public montréalais. À la fin, elle revient carrément sur scène avec un bouquet de fleurs en expliquant de façon adorable : « Comme c’était une première date, j’ai amené des fleurs pour te donner envie de me revoir. » Elle les jette le dos tourné, comme une jeune mariée, et le public qui se l’arrache lui relance alors une de ses fleurs qu’elle attache naturellement à sa boutonnière. « C’est une « toune » un peu spéciale », dit-elle pour introduire Saint Claude en s’aventurant dans le vocabulaire québécois. Le public en veut toujours plus, refuse de la laisser partir : « Mais je ne suis qu’une jeune chanteuse avec un tout petit répertoire ! » s’exclame-t-elle devant tant de ferveur. « Vous allez me faire pleurer ! », et le public accepte la gageure en redoublant de cris et d’applaudissements. C’est donc les larmes aux yeux qu’elle offre comme ultime chanson la poignante Nuit 17 à 52. Fin d’une belle nuit d’amour dont on espère voir les suites.
Alliance entre le pop et le contemporain
Cet engouement pour Christine and the Queens vient souligner un intérêt renouvelé pour la danse contemporaine qui semble souffler ces derniers temps sur la musique populaire. Que l’on pense notamment à la chanteuse Sia et à son succès démesuré aux États-Unis et dans le monde : cette dernière efface sa propre présence au profit des interprétations de la jeune Maddie Ziegler, chorégraphiées par Ryan Heffington, dans les spectaculaires vidéos pour Chandelier et Elastic Heart. Récemment, c’était la chanson Take Me To Church de Hozier qui se trouvait illustrée des mouvements du danseur classique Sergei Polunin. La popularité de cette tendance se confirme également au Québec chez de nombreux chanteurs : le légendaire Serge Fiori s’était allié à Marie Chouinard, une des plus grandes chorégraphes québécoises, pour chorégraphier le vidéo de sa nouvelle chanson Jamais en octobre dernier. Tout récemment, le groupe montréalais Loud Lary Ajust collaborait avec Nico Archambault pour sa chanson Automne. Si l’on en croit le fil Instagram de la jeune chanteuse Cœur de pirate, cette dernière se serait également associée au célèbre danseur québécois pour travailler sur le vidéo dans son nouvel album à venir, probablement pour le titre Crier tout bas. Et ce n’est pas tout, Ariane Moffatt annonçait il y a quelques semaines être à la recherche de danseurs contemporains adolescents, certainement pour un nouveau vidéo.
« Je pense que c’est encourageant ; cela montre qu’on ne travaille pas pour rien », affirme Mathilde Gessaume-Rioux, danseuse professionnelle diplômée de l’École de danse contemporaine de Montréal. « On dit souvent que l’art contemporain devient l’art actuel, mais trente ans plus tard, comme Beyoncé qui reprend les mouvements d’Anne Teresa De Keersmaeker des années après. Avec Christine and the Queens, il y a une conjoncture des deux. Elle a développé un vrai langage chorégraphique, avec un travail sur l’abstraction dans le mouvement. C’est en lien direct avec le travail des chorégraphes contemporains, mais le succès est maintenant. » Il sera intéressant de voir si cette présence marquée dans la musique populaire n’existe qu’en termes de tendance, ou au contraire, permettra un rayonnement durable de cet art si difficile à exercer et à faire respecter qu’est la danse contemporaine.