« Le jour où vous cesserez de vous battre, je serai vraiment mort.» Voilà ce qu’on peut lire sur les murs d’une rue du Caire, un message qui se mêle aux portraits de victimes des heurts d’un des matchs de football les plus meurtriers de l’histoire, le 2 février 2012. Un hommage en peinture, une façon pour les survivants de répondre au brouillard politique qui couvre la ville égyptienne depuis janvier 2011 et les premières révoltes contre le président Hosni Moubarak. En plus d’avoir été le premier soulèvement de masse après trente ans de régime autoritaire, ce mouvement marque le retour de formes d’art que les outils de propagande de l’ère Moubarak asphyxiaient. Aujourd’hui, la programmation du Festival international du film sur l’art propose au public montréalais de découvrir des témoignages capturés par le cinéaste allemand Marco Wilms dans son film Art War.
De juin 2011 à juillet 2013, alors que les violences et confrontations entre policiers et manifestants battaient de leur plein, Wilms est allé à la rencontre de jeunes révolutionnaires et artistes égyptiens. Caméra sur l’épaule, son approche directe et intimiste rend plus authentiques les espoirs et désillusions qui composent cette période, que le terme de « printemps arabe » englobe de façon trop vague. Au cours des 53 minutes du film, on suit le quotidien de Hamed, Ramy, Ganzeer, Ammar et Bosaina, des poètes, peintres ou musiciens dont les portraits, entrecoupés de repères historiques, nous permettent de situer les étapes de la chute du régime de Moubarak et du chaos qui s’en est suivi.
La nuit, le graffeur Ganzeer profite des moments de calme pour organiser une « contre-propagande », et reproduire des affiches d’avis de recherche aux policiers qui détournent le sens de ceux qui étaient destinés aux ennemis du Conseil suprême des forces armées, au pouvoir depuis le départ du président Moubarak. Il voit aussi le graffiti comme une façon d’accompagner la révolution, au moyen de messages d’encouragements comme « Oubliez le passé, souciez-vous seulement des élections ». Devant la caméra de Wilms, il confie qu’il cherche seulement à exprimer ses opinions de façon pacifique et ne devrait être ni condamné ni applaudi pour son art. Le chanteur Ramy, lui, n’a pas besoin de se cacher et donne des concerts en pleine journée, au milieu de la foule. À travers des chansons comme Laugh with the Revolution, il rassemble et encourage les manifestants dans une ambiance qui donne à la place Tahrir des airs de festival d’été.
C’est donc par une réelle mosaïque créative que les artistes du Caire résistent et soutiennent leurs idéaux de liberté. Pour le peintre Ammar, ce climat d’art populaire ne sort pas de nulle part et puise son inspiration dans le langage artistique de l’Égypte ancienne. Pour le prouver, il nous emmène à Louxor, sa ville natale située au milieu du désert et dont les fresques murales l’émerveillent toujours autant. Avec un air pensif, il se demande : « Où est-ce que ces personnes ont trouvé la force de créer d’aussi belles peintures ?»
Avec une finesse et un entrain qui séduisent, Art War remet les choses en perspective. Comme ceux qui, au cœur du désordre, ont su prendre de la distance, les images de Marco Wilms nous donnent envie de nous projeter et de regarder toujours un petit peu au-delà de ce qui nous pend au nez.