Que tous ceux qui seraient tentés de croire que l’âge d’or du journalisme d’investigation est définitivement révolu se rassurent : si le récent documentaire de Ryan Mullins sur la carrière extraordinaire d’Anas Aremeyaw Anas prouve au moins une chose, c’est que les Zola existent encore aujourd’hui. Ils ont tout simplement changé de visage, et de continent.
On imaginerait mal le père du naturalisme se munir d’un faux fessier, de talons hauts et de lunettes de soleil pour démasquer des malfaiteurs de toutes sortes, qu’il s’agisse de trafiquants humains, de missionnaires exaltés exploitant des enfants, ou encore de faux médecins pratiquant des avortements illégaux dans des cliniques insalubres. C’est pourtant ce que fait quotidiennement ce « James Bond » du Ghana dont les enquêtes lui ont valu une célébrité qui complique considérablement la conservation de son anonymat. La discrétion s’avère pourtant aussi nécessaire à l’exercice de son métier qu’au maintien de sa sécurité personnelle, comme l’a d’ailleurs souligné le réalisateur tout au long du film en choisissant de le filmer de dos, lorsque son visage est découvert. Ce choix, sans doute préférable à la participation d’un acteur qui aurait joué le rôle du journaliste lors de la reconstitution de ses enquêtes, était risqué sur le plan esthétique. En effet, il risquait de créer une certaine monotonie par la répétition de ses plans. Si l’effort de mise en scène demeure honorable, le résultat est cependant mitigé, comme en témoigne le nombre réduit de spectateurs qui se sont déplacés jusqu’au cinéma Excentris pour assister à la première : nous n’étions guère plus de quatre dans la salle.
Faut-il blâmer une mauvaise publicité, ou encore la difficulté, pour les documentaires, d’entrer en compétition avec les films de fiction, plus susceptibles d’attirer les foules ? Il est sans doute trop tôt pour affirmer que Chaméléon s’est heurté à un mauvais accueil seulement pour s’être vu accorder la note de 6,9 sur le site IMDb. Après tout, cette œuvre a bien reçu le prix du réalisateur canadien émergeant au festival Hot docs à Toronto cette année, ce qui témoigne d’une certaine reconnaissance de la part du public.
Le spectateur peut être surpris de constater à quel point le traitement réaliste d’un sujet plutôt aventurier (qui correspondrait plutôt à un film d’espionnage) semble avoir nui à l’effet du récit des enquêtes d’Anas Aremeyaw Anas. En effet, il semble avoir été dépouillé de ses aspects les plus sensationnels pour rappeler qu’il ne s’agit pas, après tout, d’une œuvre de fiction. Dans le film, Kweku Baako Jnr (le rédacteur en chef du New Crusading Guide qui publie les articles d’Anas depuis 1998) semble justifier cette décision en mettant les spectateurs en garde contre les dangers du sensationnalisme. On ne dit rien cependant des dangers qu’il pourrait y avoir de se prémunir de ses effets positifs, en risquant par exemple de faire tomber le récit de cette carrière incroyablement courageuse dans l’oreille d’un sourd…