Pour sa troisième mise en scène de Musset, Claude Poissant a opté pour une pièce relativement plus courte que son précédent Lorenzaccio – également présenté au Théâtre Denise-Pelletier – mais non moins dense. Publiée après les amours tumultueuses de Musset avec George Sand, On ne badine pas avec l’amour est une pièce qui illustre les dangers des jeux amoureux et dans laquelle l’orgueil triomphe de l’amour.
Cousins et jadis unis par une amitié à toute épreuve, Camille et Perdican se retrouvent après dix ans de séparation. Mais le temps a passé, les deux cousins ont grandi et la nature des sentiments a changé. Fraîchement sortie du couvent et mise en garde contre les dangers de l’amour par les religieuses, Camille rejette le projet de mariage avec Perdican imaginé par le baron, préférant unir sa vie à celle de Dieu. Quant au jeune homme, son amitié d’antan s’est transformée en amour. Blessé dans son orgueil par l’attitude hautaine de sa cousine, il décide de séduire Rosette, une jeune villageoise, afin de prouver son indifférence envers Camille. Quand les deux protagonistes se rendent enfin compte des ravages de l’orgueil sur leur amour, il est déjà trop tard.
« Un souffle de modernité à cette pièce romantique d’un autre siècle »
Ce thème si universel qu’est l’amour est mis au goût du jour par Claude Poissant, avec des décors et des costumes plutôt contemporains. Le décor, très épuré, est principalement fonctionnel et représentatif des lieux de l’action. Il contient néanmoins certaines significations symboliques, dont des feuilles mortes, représentant le temps qui a passé et, par extension, la mort de l’ancienne amitié des deux protagonistes. Les costumes sont à la fois modernes et élégants, à l’image du rang social du baron et de son entourage. Les personnages masculins sont vêtus de complets dont les couleurs symbolisent leur caractère respectif : rouge colérique pour le baron, et pastel pour le jeune Perdican. Toutefois, à l’exception de celui de Rosette, les costumes des personnages féminins détonnent quelque peu avec leurs personnalités respectives. En effet, la dévote Dame Pluche arbore un manteau à froufrous et aux couleurs brillantes, et la vertueuse Camille est vêtue d’une robe moulante puis d’un chemisier blanc à motifs de dentelle. On peut néanmoins associer cette discordance à l’ambivalence respective des deux personnages : Dame Pluche étant à la fois bigote et très démonstrative, et Camille aussi vertueuse que passionnée. Les scènes sont ponctuées de musique, tour à tour enregistrées et jouées directement sur scène par deux des comédiens. Le caractère enfantin des instruments choisis, rappelle celui d’une boîte à musique et entre harmonieusement dans le thème de la pièce. Par contre, les transitions musicales entre les scènes ont tendance à être un peu brusques et empiètent sur la dernière réplique prononcée par un personnage.
Le comédien Francis Ducharme incarne un Perdican naïf et profondément passionné et l’on retrouve dans ses célèbres tirades tout le romantisme de Musset. Dans la même lignée, le jeu d’Alice Pascual (Camille) montre avec justesse le dilemme intérieur du personnage, tiraillé entre raison et désir. La tension dramatique, ici amoureuse, entre les deux protagonistes est très bien représentée dans les scènes en tête-à-tête. Toutefois, l’embrassade de la scène finale tombe quelque peu dans le cliché, avec un jeu un peu forcé de la part d’Alice Pascual. Quant aux autres comédiens, Denis Roy et Martin Héroux (respectivement Blazius et Bridaine) incarnent de manière très juste le ridicule de ces parodies du pouvoir. Henri Chassé, quant à lui, a tendance à manquer de conviction dans son interprétation du baron. On peut également questionner l’utilité du rôle du Choeur dans une pièce romantique. Toutefois, il permet au spectateur d’entrer dans les pensées des personnages, chose utile compte tenu de la dimension fortement introspective de la pièce.
Ainsi, en donnant un souffle de modernité à cette pièce romantique d’un autre temps qui traite d’un sujet toujours d’actualité, Claude Poissant montre bien qu’on ne badine définitivement pas avec l’amour.