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Hymne à la mémoire

Le réalisateur Atom Agoyan part à la poursuite du passé avec le film Souviens-toi.

Sophie Giraud

De grandes respirations, ses paupières s’ouvrent doucement, sa conscience s’éveille et, déboussolé, Zev appelle sa femme, Ruth, qu’il ne voit plus à ses côtés. C’est par ce premier cri du sentiment que le film Souviens-toi, du réalisateur arménien Atom Agoyan, nous présente un octogénaire atteint de démence et d’une forme d’Alzheimer. Grâce à une projection du cinéma Excentris le vendredi 21 octobre, le public découvre alors comment Max (Martin Landau), un autre interné de l’hospice de Zev – incarné brillamment par un Christopher Plummer au regard profondément juste – va l’entraîner dans un voyage à travers les États-Unis et le Canada. Ils partent à la recherche d’Otto Wallish, un ancien membre de la Schutzstaffel (SS) – le service de police du troisième Reich allemand – qui aurait assassiné leurs familles à Auschwitz et émigré après la guerre en Amérique sous un autre nom : Rudy Kolander.

Après d’abondantes critiques négatives de The Captive, le dernier film d’Atom  Agoyan (également connu pour Chloe, Exotica, De Beaux Lendemains), nombreuses étaient les attentes d’un public mitigé. L’urgence de la sortie de Souviens-toi, peut être expliquée par le fait qu’il n’y aura bientôt plus aucun survivant de cette tranche historique qu’est l’Holocauste. Agoyan saisit ce moment pour nous rattacher à un phénomène passé tout en l’ancrant habilement dans le présent. Si le suspense est au coeur de ce scénario hitchcockien écrit par Benjamin August, une autre trame s’ajoute à celle de la quête de vengeance : celle du désespoir d’un homme seul et aliéné dans un monde où il n’a même plus de contrôle sur ses propres souvenirs. De plus, le périple qu’effectue Zev tout au long de l’intrigue est également renforcé par une représentation réaliste de la société nord-américaine moderne, construite à la manière de Maupassant à travers une série de portraits d’enfants, de vendeurs, de réceptionnistes, d’aides-soignantes et même de douaniers.

Sophie Giraud

Souviens-toi est un véritable hymne à la mémoire. Dans un premier temps, la mémoire est au centre du scénario puisque le handicap mental du protagoniste lui fait revivre encore et encore l’acceptation de la mort de sa femme et le lot de douleur qui s’ensuit. Zev, qui se retrouve à chaque éveil dans une situation d’incompréhension totale, décide d’écrire sur son bras un rappel « regarder la lettre » dans laquelle son ami Max lui a donné toutes les informations et explications nécessaires pour le rattacher au contexte présent. Si l’on découvre également qu’il porte un numéro tatoué datant de ses années de prisonnier à Auschwitz, on ne peut s’empêcher de faire un lien entre ce tatouage douloureux ancré à lui et ce rappel, marque d’un passé qu’il ne peut renier.

À la manière de cet individu qui doit revivre plusieurs fois la difficulté du deuil et de son périple, on peut faire un parallèle à une plus grande échelle avec l’histoire qui se répète, comme une mise en abyme d’un oubli collectif de périodes marquantes de l’histoire qu’il ne faudrait impérativement, selon Agoyan, laisser de côté. Ce thriller a comme thème la Shoah mais il pourrait très bien traiter d’autres génocides passés ; la nationalité arménienne du réalisateur et son intérêt pour l’histoire de ce pays a pu être à l’origine son envie de choisir ce thème.

Une des scènes les plus touchantes de ce film s’orchestre autour d’une fillette à qui Zev demande de lire la lettre de Max à voix haute, l’innocence de ce personnage contraste dangereusement avec une période noire de l’histoire. « C’est quoi, un nazi ? », demande la jeune fille entre deux phrases lues, et nous comprenons alors, nous spectateurs, l’importance de transmettre ces souvenirs aux générations futures. 

Sophie Giraud

En somme, malgré le scénario très complet de la quête d’identité d’un homme désespéré, on ne peut s’empêcher de regretter les mises en scènes légèrement prévisibles  et le manque d’insistance sur la sphère psychologique de cet ancien prisonnier d’Auschwitz. Cependant, le fait d’avoir en première scène un personnage principal de cet âge, interprété avec brio par Christopher Plummer, relève la plausibilité du scénario et nous inspire de l’émoi. 

On retrouve des influences de This Must Be The Place de Paolo Sorrentino, à travers cette chasse au nazi, et de Memento de Christopher Nolan dans les fréquentes phases d’oubli et de réappropriation du présent. La bande originale du film, produite par Mychael Danna, accompagnée d’une transcendance du protagoniste par la musique, donnent au scénario une sensibilité supplémentaire. La projection se clôt sur un dénouement inattendu remettant en cause tous nos a priori. Alors que le  cheminement de souffrance du personnage résonne encore dans nos esprits, l’écume de souvenirs vacillants  nous submerge. 


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