À l’arrivée ce qui frappe, ce sont les pancartes. Une vingtaine au bas mot. Sur chacune d’elles, le portrait d’une jeune femme sur fond blanc avec sa durée de vie, dont la fin coïncide souvent avec sa dernière apparition. S’y accrochant littéralement, les proches, les membres de la famille, les amis, les transportent dans leurs mains pour que les participants réalisent l’ampleur du drame, de leur détresse. Sensationnalisme ? Peut-être, en tout cas ça a l’avantage de briser l’apathie de l’écran, et ne laisse pas indifférent. Sauf que. À l’origine de l’agitation de ces dernières semaines, il n’y a ni pancarte ni vigile. Il y une vidéo : un reportage sur les violences faites aux femmes autochtones de la ville de Val‑d’Or (voir le Délit du 27 octobre). Une musique lyrique soutient la vidéo, comme pour bien indiquer l’émotion à prendre. Parce que les informations elles, n’ont jamais réussi à émouvoir, à concerner un public indifférent.
La vigile est située Place des Arts. Le même lieu où une chaîne humaine en solidarité avec les réfugiés syriens avait eu lieu en début d’année scolaire, dans les mêmes circonstances, dirait-on. Cette fois, c’était la photographie qui avait amorcé l’indignation ; même principe. Sauf qu’au Canada, cela fait plus de 10 ans que le phénomène perdure.
Il s’agit d’un lieu commun au pays, la situation précaire des premières nations remonte, sans extrapolation, à Jacques Cartier. Récemment, et sur un autre enjeu que celui des femmes, on apprenait l’existence d’un réseau de pensionnats pour les jeunes autochtones entre 1880 et 1996 sous la tutelle du gouvernement canadien. Tout cela pour forcer les jeunes à oublier leur culture à force de violence psychologique et corporelle. Environ 150 000 enfants en tout. Ça a fait réagir, mais comme ici, sur papier. Cela explique au moins la réticence des premières nations à se fier aux instances de justices gouvernementales.
Une soirée pleine d’émotion
La soirée a principalement consisté en un grand rassemblement : énorme pour ce type d’événement ponctué de discours bilingues et de chants. Une centaine de personnes réunies, brandissant lampions et chandelles allumées pour saluer la mémoire de celles qui ont disparu. À l’ouverture, et sous un tonnerre d’applaudissements, la présidente de Femmes Autochtones du Québec, Mme Viviane Michel, a insisté sur le fait que la foule se trouvait sur des terres traditionnelles autochtones non cédées. Une tendance qu’on note aussi parmi les associations étudiantes de McGill, à l’AÉUM comme à l’AÉFA.
La vigile s’est amorcée avec une prière traditionnelle incompréhensible, mais que le public devine bien venir de la langue et de la tradition autochtone. Laquelle exactement ? On ne saurait dire, autochtone est maintenant un mot fourre-tout. Il a au moins l’avantage d’être pratique. C’est une généralité, qui englobe toutes ces minorités aujourd’hui encore opprimées. Le chant traditionnel qui a suivi la prière avait l’avantage de ne comporter que des cris ; pas besoin d’en identifier la langue.
Le rassemblement, sans se proclamer féministe, tournait majoritairement, sinon exclusivement, autour du sujet des femmes. Mélissa Mollen Dupuis, représentante d’Idle No More Québec, a d’ailleurs débuté son discours par une affirmation, chaudement accueillie : « les femmes autochtones ne valent pas moins. » Face aux atrocités dévoilées par le reportage d’enquête, Mme Viviane Michel, présidente de Femmes Autochtones du Québec, félicitait le courage des femmes qui ont accepté de dénoncer la situation dans laquelle elles vivaient : « Nous on les croit ». Dans la même lignée, M. Ghislain Picard, chef régional de l’Assemblée des Premières nations Québec et Labrador, insistait sur la responsabilité des chefs autochtones, majoritairement des hommes. Il milite entre autres pour éviter que la situation présente ne revienne à l’étape du status quo.
Une volonté de changement
Pour Vincent Morreale, étudiant en littérature française à McGill, voir autant de gens non touchés directement par le reportage est rassurant. « De savoir que le malheur de ces femmes puisse être causé par des représentants de l’ordre rend la chose absurde. Participer au mouvement contribue à faire avancer les choses. »
L’événement a été organisé par plusieurs organisations conjointement, toutes investies depuis des années dans une optique de sensibilisation pour une solidarité avec les femmes autochtones disparues ou tuées : Idle No More Québec, Femmes Autochtones du Québec, le Réseau de la stratégie urbaine autochtone à Montréal, le centre Native Montréal et Amnistie Internationale Canada francophone. C’était aussi l’occasion de distribuer une lettre ouverte, datée du 25 octobre 2015, destinée aux premiers ministres Justin Trudeau et Philippe Couillard. Le titre est clair, « Justice pour les femmes autochtones ». On y demande à M. Philippe Couillard de mettre en place un comité indépendant des institutions policières pour enquêter sur les allégations d’abus de pouvoir par les agents de la Sûreté du Québec sur les femmes autochtones de Val‑d’Or, ainsi que sur les femmes issues d’autres communautés. On y insiste également pour que la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones soit appliquée.
La dernière parole tombe et la foule se dissipe. Quelques-uns demeurent pour parler pendant que les médias sautent sur les responsables de l’événement. On s’attend à ce que l’information circule davantage, l’an prochain sera peut-être un pow-wow, souhaite la présidente de Femmes Autochtones du Québec. Du moins, on est en droit d’espérer que le nouveau gouvernement libéral fera bouger les choses dans le bon sens, lui qui a fait élire huit députés autochtones en son sein, sur dix autochtones au Parlement, un record.