C’est au cours d’une récente mésaventure sur Facebook que j’ai découvert que j’étais un mouton. Attendez la suite. Voyez-vous, un matin d’automne, vaguement réveillé et encore dans mon lit, il m’a pris par accident de supprimer ma photo de profil ; cette même photo que j’avais consacré 12 heures auparavant comme blason public de mon sex appeal. « Ciel, mon profil ! », m’écriai-je à moitié en train de pleurer de rire et de pleurer tout court devant ma bêtise. La faute réparée en deux minutes à peine, c’était pourtant bien dommage de constater un retour à un nombre de likes équivalent à zéro.
Maudite addiction
Cette précipitation si soudaine et la constatation de mon désarroi me font apprendre non pas deux choses, mais trois. La première est que je suis un peu trop attaché à mon flux permanent d’informations, la deuxième est la conclusion de la première : il faut savoir se détacher de ce flux. La troisième englobe les deux précédentes : il s’agit de la nécessité de relativiser.
Pourquoi sommes-nous tant attachés à nos likes ?
La réponse me paraît simple. Comme l’expliquait Wendy Brown le 13 octobre dernier lors de la Beaverbrook Annual Lecture (Conférence annuelle Beaverbrook, ndlr), le néo-libéralisme s’est immiscé dans nos modes de vie en en régulant chaque aspect de manière à nous faire apparaître comme des produits ayant une valeur sur un marché. Dans ce marché immatériel, on peut imaginer des agences de notation (Facebook, Instagram, Twitter…) qui nous donnent une valeur selon nos likes, nos amis, nos connections (sur LinkedIn). N’oublions pas que Facebook, par exemple, est à la base une plateforme destinée au réseautage entre membres de bonne société. C’est très pratique quand il s’agit d’avoir une vue d’ensemble de la valeur d’une personne sur le marché relationnel, mais il existe nécessairement des éléments réducteurs inhérents à ces marchés. Comme exemple, un nombre important de likes ou de partages est la condition sine qua non de la bonne visibilité d’une publication ouverte au public sur Facebook, plutôt que la valeur intrinsèque du message porté.
À la réflexion pourtant, un nombre important de likes est une envie irrationnelle si l’on se base dans le monde réel. Qu’est-ce qu’un « clic » en bas d’une image veut dire sinon une poussée de dopamine dans le cerveau de l’individu qui reçoit le like ? Dans le monde de l’immatériel, il veut pourtant dire approbation et popularité. En d’autres termes, au niveau individuel, cela se traduit en capital séduction.
Pour reprendre l’explication de Yann Dall’Aglio, auteur d’un Ted Talk sur le sujet : c’est l’accumulation hystérique de symboles de la désirabilité qui fait qu’adolescents, nous achetons une nouvelle paire de jeans puis la déchirons au genoux simplement pour plaire à Jennifer.
Loin de moi l’idée de remédier à cette situation, j’ai conscience d’avoir moi-même un capital séduction – dont je ne vous dévoilerai pas le montant car je l’ignore. Je peux chercher à le connaître mais cette quête n’est pas très utile à mon avis car elle accorde trop d’importance à l’avis des autres. La seule chose dont je suis sûr est que le fait d’être attaché à ses réseaux sociaux est le reflet de l’attachement à notre capital séduction. Si j’ai sauté sur mon portable ce matin-là, c’est que je commence à attacher trop d’importance à mon image. Mais cela dit, en ayant bien réfléchi, allez tout de même liker ma photo de profil.
Note : Certains passages de cet article ne sont pas à prendre au premier degré.