Il est toujours surprenant de constater que le plus infime parfum réussit à produire un flot d’images, de la plus banale fragrance de lessive qui fait revivre la maison familiale à l’odeur de la madeleine qui ouvre tout un univers romanesque. Le premier roman de Corinne Larochelle, Le parfum de Janis , s’articule autour de cette exploration du souvenir et de l’introspection. À travers ces derniers, la narratrice entrecoupe le présent de sa recherche d’écriture avec son passé agité.
C’est dans l’atmosphère sobre de Lisbonne, au Portugal, que s’ouvre ce roman, avec une scène d’enfant qui nourrit des pigeons. Un tableau qui, tout en simplicité, donne le ton au récit qui se développera parallèlement : en effet, la narratrice est captivée par les souvenirs qu’elle alimente, à l’image du jeune garçon et de ses oiseaux. Ceux-ci se dévoilent peu à peu, sous la forme de brefs paragraphes relatant tel ou tel événement de l’enfance du personnage : la visite chez des amis de ses parents, où elle pianote pendant que les adultes discutent ; un Noël où elle et son frère déballent discrètement les cadeaux avant le soir. Ces moments génériques confortent le lecteur dans un univers qui lui est familier, car partagé.
Puis, c’est le drame. Le séisme de 1755 à Lisbonne : la fin de l’amour, le divorce, le déménagement, la garde partagée des enfants. Et, comme Jean-Jacques Rousseau ou Voltaire, le frère et la sœur ne savent plus quel point de vue prendre face à cette situation. Ces passages offrent une myriade de souvenirs dans laquelle puise la narratrice afin d’organiser son discours. Ce dernier alterne régulièrement entre le passé et le présent, sous la forme d’échos entre les agissements de la mère et ceux de la fille : les déboires des relations infructueuses de l’une préfigurent les complications amoureuses de l’autre.
La figure maternelle s’installe ainsi, progressivement, dans le roman ; ce roman que la narratrice cherche tant à écrire pendant son voyage, et dont sa mère aimerait tant être le sujet principal. Adéquatement, le roman résout cette problématique dans le fil même du récit : alors que la narratrice essaie de se distancier de cette demande, l’auteure s’en rapproche. Au final, c’est toutefois l’histoire de la fille qui se dévoile dans la dernière portion, consolidant un personnage marqué par l’anxiété en une figure de femme forte. Après tout ce travail sur la pensée, c’est avec plaisir que le lecteur voit se déplier un futur incertain et ouvert sur un monde de possibilités.
Le travail du souvenir fait partie intégrante de ce premier roman de Corinne Larochelle. En explorant l’histoire de sa cellule familiale, le personnage principal trouve, par le fait même, les réponses à ses propres inquiétudes. Livre sur la mémoire, Le parfum de Janis gravite autour des imprévus de la vie afin de produire un récit émouvant.